Le Livre du Tanka francophone
Dominique Chipot
éditions du Tanka francophone, 2011
Hasard du calendrier ? Le livre du tanka francophone a été
publié au dernier trimestre 2011 et je remarque, à la lecture des premières
pages, que la célèbre poétesse de tanka
japonaise, Yosano Akiko, foulait justement le sol de la capitale française en
1912. Les plus curieux pourront d’ailleurs prendre connaissance de cet épisode
grâce à l’accès libre, en ligne, à la traduction par Claire Dodane[1]
du récit intitulé Yosano Akiko
(1878-1942) : Le séjour à Paris d’une Japonaise en
1912. A moins
qu’ils ne préfèrent parcourir la version papier[2].
Si ce passage à Paris resta plutôt discret à
l’époque, il est frappant de constater qu’un siècle plus tard, à quelques mois
près, le petit poème qu’elle maniait avec tant de délicatesse, a fini par
éclore dans le paysage poétique francophone.
Il était donc devenu intéressant et nécessaire
de consacrer un ouvrage à cette aventure littéraire. L’auteur l’a bien compris
qui choisit de nous l’offrir aujourd’hui et d’aborder ce sujet en quatre
développements intitulés respectivement Les premiers tankas
francophones, Ecole et revue du tanka international, L’art du tanka
francophone, Du génie poétique : la rhétorique du waka.
Dans Les
premiers tankas francophones, Dominique Chipot relate la lente introduction
de la poésie japonaise en France, à la fin du 19e siècle ; il est
même question d’un « désert poétique » dû, semble-t-il à une
« prééminence de la Chine sur le Japon » jusqu’en 1858.
Des figures se dégagent, auxquelles nous
devons la diffusion de la littérature japonaise sur notre territoire à partir
des années 1870. Tel est le cas par exemple de Léon de Rosny, auteur de
différents travaux sur la poésie japonaise ; Judith Gautier, la première à
adapter en Français des tankas japonais ; Paul Louis Couchoud qui, à
l’aube du 20e siècle, donne à cette poésie un élan décisif grâce à
une étude sur le haïku et à ses traductions de tankas ; Emile Lutz,
premier auteur de tankas francophones connu à ce jour ; Jean-Richard Bloch,
acteur du tanka des plus marquants ; Jean Paulhan, auteur de la première
anthologie de haïku français ; ou encore Paul Fisch, René Druart, la
poétesse de tanka Renée Gandolphe de Neuville.
Si le haïku rencontre en France un succès
certain dès Paul-Louis Couchoud, le tanka peine à se faire reconnaître. En
effet, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’il gagne vraiment les
salons littéraires parisiens, quand Hisayoshi Nagashima crée « un cénacle
spécialiste du tanka » et que Jehanne Grandjean, poètesse à l’initiative
du tanka régulier français, se joint à lui. À partir de 1953, paraît la Revue du Tanka International.
D’autres noms s’imposent encore en France en
matière de littérature japonaise, comme celui de Roger Munier, dans le domaine
du haïku, ou encore de Jacques Roubaud, oulipien, tandis qu’outre-Atlantique
résonnent ceux de Jean-Aubert Loranger et, très près de nous, André Duhaime,
promoteur incontesté du tanka.
La seconde revue de tanka est fondée au
Québec par Patrick Simon, en 2007.
La deuxième partie du Livre du Tanka francophone, École
et revue du tanka international, retrace d’abord l’histoire, plus
exactement la Petite histoire illustrée,
de l’École Internationale du Tanka (1948-1973) et développe les quatre objectifs
recherchés : diffuser le tanka dans
le monde, afin d’aider au rapprochement des peuples en favorisant
l’écriture de tankas chacun dans sa langue ;
réformer la poésie occidentale en l’orientant vers plus de simplicité et de
sobriété ; œuvrer pour la paix des
peuples et des âmes en créant des liens de fraternité à travers le tanka
propre à réorienter le siècle vers le Beau ; faciliter les échanges culturels
entre la France et le Japon : des relations mises en place dès 1952,
date de création à Tokyo d’une section japonaise de l’école du tanka.
D’autres écoles et revues sont inaugurées au
Japon et, en 1957, est publiée l’anthologie intitulée Tanka international, dirigée par Maître Nobutsuna Sasaki, offrant
des tankas en japonais et en français ainsi que dans la langue maternelle des
contributeurs. Une autre anthologie paraîtra en 1967.
Cette seconde partie s’enrichit de la
description d’Une séance à l’École Internationale du Tanka :
lieux raffinés, personnalités de haut rang, ambiance pluri-artistique,
séquences orchestrées en trois temps sur fond de causerie, récital et lectures
de tankas, photographies d’époque à l’appui.
Elle fournit aussi moult détails sur La Revue du Tanka International éditée
de 1953 à 1972 : tirage, aspect de la couverture, format, contenu
(rubrique tankas illustrée de textes d’auteur.es francophones, japonais
traduits, des fondateurs de l’école, Hisayoshi Nagashima et Jehanne Grandjean,
et une quarantaine de poèmes écrits par des enfants), financement de la revue couronnée en 1956 du
prix de la Langue française décerné par l’Académie Française.
Suivent les portraits des fondateurs qui
ont tant œuvré pour faciliter les échanges franco-japonais et promouvoir le
tanka. Les lecteurs et lectrices prendront plaisir à découvrir par eux-mêmes,
entre les pages de ce livre généreusement documenté de textes, manuscrits, photographies,
portrait, Mme Jehanne Grandjean (1880-1982) et
M. Hisayoshi Nagashima (1896-1973).
Avec la troisième partie, L’art du tanka francophone, nous
découvrons les règles essentielles à observer par quiconque souhaiterait devenir
Kajin ou auteur.e de tanka.
L’accent est mis sur l’importance de la musicalité et du rythme en 5 et 7,
inscrit dans la tradition orale japonaise depuis les origines, qui renforce le
sens sans recours à la rime. Mais les auteur.es contemporain.es ont défini
« d’autres styles fixes » de tanka, présentés ici. Sont aussi à
prendre en compte la césure et les divisions mêmes du poème.
L’oiseau dans sa cage
Apaisé, dort
maintenant ;
Droite, sur la table
S’élève la fumée mauve
D’une
blanche cigarette.
Hisayoshi
Nagashima
les nuages
épais couvrent le
matin –
une lumière
qui cache la vérité
du lit en désordre
Mike Montreuil, RTF6
Dominique Chipot montre encore combien la
concision constitue une qualité indispensable à la pratique du tanka qui ne
traite qu’un sujet à la fois tout en exprimant des sentiments, se gardant
toutefois de conclure. Mme Grandjean elle-même dispense ses conseils
avisés : « Cette poésie symbolique, courte et aiguë laisse plus à
compléter qu’elle n’exprime elle-même… ».
Le tanka ne donne jamais dans la banalité
mais préfère l’originalité, écartant cependant tout maniérisme. Il décrit la
réalité avec minutie à l’aide d’un vocabulaire simple mais expressif et exprime
« l’intériorité du poète » en faisant sentir « son souci et son
intérêt pour la nature ».
Suivent plusieurs préceptes parmi lesquels la
justesse du mot et du propos soigneusement polis, la sincérité, la capacité à
communiquer l’émotion, à suggérer… tandis que les thèmes abordés par le tanka
sont commentés, assortis d’exemples empruntés aux thèmes du tanka classique
(saisons, amour, voyages…) autant qu’à ceux du tanka contemporain (ville,
métier, politique…).
Seul et couché
Sur un oreiller d’herbes
Je sentais un parfum d’amande :
C’était celui du prunier d’un clos
Qui noblement le répandait
Saïgyô (1117-1190)
Des chaluts du large
le vieux pêcheur de daurades
Connaît les effets
la cloche au bout de sa ligne
ne tintera bientôt plus
Philippe Quinta
Cette section pédagogique s’achève par
l’étude du style, ou plutôt des styles (agencement, association, effet zoom…) sans
omettre de souligner l’importance du questionnement ou de la réflexion :
autant d’éléments qui contribuent à donner du caractère et de l’intérêt au
tanka.
La quatrième partie de l’ouvrage, Du génie poétique, la rhétorique du tanka,
dévoile encore des techniques spécifiques à la poésie japonaise mais dont la
connaissance peut s’avérer nécessaire à l’auteur.e du tanka francophone qui s’en
inspirera avec bénéfice. Ainsi, Dominique Chipot entreprend-il d’expliquer des
notions telles que le « mot oreiller », le « mot
d’introduction », le « mot pivot » ; ou bien l’homophonie
et les « mots à double entente ». Il évoque de même « l’oreiller
du poème », les « mots liés », les jeux de résonnance entre
poème ancien et poème contemporain.
Chaque procédé poétique est annoncé en japonais, suivi de son idéogramme et
traduit en français.
L’ouvrage s’achève sur une bibliographie détaillée
référençant les Ouvrages traduits en
français contenant des tankas (ou waka) japonais.
Bref, Dominique Chipot offre-là aux amateurs de
littérature, et particulièrement de poésie, un véritable ouvrage de référence
richement documenté dans sa partie historique et complété d’un volet
pédagogique clair, articulé autour d’exemples précis, qui guidera avec bonheur
aussi bien le Kajin en herbe que le Kajin plus expérimenté.
Danièle Duteil, avril 2012
[1] Claire Dodane est professeure
en littérature comparée à l’Université Lyon 3 et elle
est l’auteure d’un ouvrage intitulé Yosano
Akiko, poète de la passion et figure de proue du féminisme japonais
(Publications Orientalistes de France, 2000).
[2]
Référence papier : Claire
Dodane,
« Yosano Akiko (1878-1942) », CLIO.
Histoire, femmes et sociétés, 28 | 2008, 194-203.
Référence électronique : Claire Dodane,
« Yosano Akiko (1878-1942) », CLIO.
Histoire, femmes et sociétés [En ligne], 28 | 2008, mis
en ligne le 15 décembre 2011, consulté le 03 avril 2012. URL :
http://clio.revues.org/8652 ; DOI : 10.4000/clio.8652
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