lundi 30 mai 2016

HAÏKU, COLLECTIF, KE PELLAT CHRISTO : Portrait de la ville



ПОРТЕT НA ГРAДA xaйky  PORTRAIT DE LA VILLE, haïkus


Anthologie bilingue de haïkus, bulgares et français, sous la direction de Christo Ke Pélla. Deux préfaces : Roland Halbert / Danièle Duteil. ART GRAF PRINT, Sofia, 2015. Format 100/70/16. ISBN : 978-954-9401-94-3. Les voix d’une centaine d’auteurs déclinent la ville dans sa multiplicité, son authenticité, son instantanéité.


La publication d’une anthologie, qui plus est de haïku, constitue toujours un événement. L’originalité de celle-ci est de rassembler, sur un thème commun, la ville, des textes de poètes de nationalités différentes en version bilingue, bulgare et française.
Dans La Ville, les haïdjins mêlent naturellement leurs voix, apparaissant simplement dans l’ordre alphabétique des prénoms. L’absence d’un plan défini offre ainsi au lecteur l’avantage de pouvoir se promener entre les pages à son gré, d’emprunter des chemins de traverse sans craindre d’être dérouté. Un parcours de lecture libre, adapté à la fantaisie personnelle et au rythme moderne, plus particulièrement peut-être au rythme chronophage imposé par la vie citadine.
Une anthologie éveille immanquablement la curiosité même si, relevant de choix – ici nationalités, auteurs, genre poétique et sujet traité- elle est obligatoirement restrictive.

Le thème de la ville constitue un sujet intéressant à plusieurs titres. D’abord parce que le haïku est d’ordinaire plutôt orienté vers la nature qui, dans le périmètre urbain, se trouve fréquemment réduite à sa portion congrue. Ensuite, la ville est un espace réel, souvent nommé précisément : elle paraît de ce fait bien appropriée au genre. Puis il s’agit d’un lieu particulier, propre à faire naître les réactions ou émotions les plus variées, de l’attrait à l’indifférence en passant par la curiosité, le plaisir, l’attachement, l’ennui, l’angoisse ou carrément le rejet. Elle constitue aussi le siège de la mémoire individuelle et collective car elle concentre l’histoire, les histoires des un.es et des autres, elle EST Histoire. Enfin, elle s’impose comme miroir d’une société et des individus qui la composent, dans tous les sens du terme, qui composent avec elle serait-il judicieux d’ajouter.

Entre verre et béton
nous nous dévisageons –
cherchant nos âmes
KÉTI BOZOUKOVA

La ville est tout sauf un endroit anodin par conséquent. Croquée par le haïdjin, ce voyageur infatigable, elle va obligatoirement revêtir de multiples aspects et faire surgir d’innombrables sentiments.

Elle peut apparaître désincarnée, totalement investie par l’humain qui bétonne à tour de bras, domestique, voire mutile la nature. Par bonheur, malgré le combat à mener, cette dernière parvient encore, dans la plupart des cas, à « faire » sa place.  Il arrive même que naissent entre elle et l’individu de très intimes et bien douces relations.


La lune parfume
l’Acropole – le jasmin
blanchit la ville
OLIVIER WALTER

A l’évidence, l’état d’esprit de la personne qui la saisit de sa plume influence largement la restitution finale.

Si l’architecture et les bâtiments de la ville, ses bouches de métro, ses zones industrielles l’enlaidissent parfois, ses monuments, ses parcs, ses musées, ont tendance à la magnifier à l’inverse. Mais la laideur autant que la splendeur, la misère tout comme l’opulence la racontent, historiquement et socialement parlant, narre la vie de ces gens, de cultures différentes et très proches à la fois, qu’elle abrite.
Ces gens, à la réflexion, les habitants des villes, qui sont-ils ?
La ville est le lieu de la foule par excellence. Celle-ci est bien présente dans le haïku citadin mais de manière plutôt implicite, à travers le brouhaha qu’elle génère ou ses silences, les signaux lumineux qu’elle émet, les zones d’ombre où elle se dilue, les odeurs qu’elle dégage et toutes les traces qu’elle laisse sur son passage. Curieusement, peu de visages. Peut-être justement d’ailleurs, car où règne la multitude, l’anonymat est maître. Quelque femme, enfant, vieillard entraperçus ici ou là … furtives projections d’un désir, d’un souvenir, d’une inquiétude, d’une solitude.
Etrange constat, une seule figure revient très régulièrement, celle du mendiant. Il porte différents noms, « sans-domicile », « sans-abri », « clochard », ou bien encore on l’appelle affectueusement « clodo »… Il revêt en principe les traits d’un.e adulte mais apparaît aussi bien sous l’aspect d’un gamin, d’une gamine des rues. Il arrive même qu’un chien ou un chat figurent au nombre de ces « sans-logis ». 

Un chien de ville sans abri.
On se regarde
apeurés tous les deux.
                        DIMITRINA GANTCHEVA
                       
Pourquoi autant de regards focalisés sur ce personnage démuni - ou riche de sa différence, c’est selon ?
À chacune, à chacun finalement de trouver sa réponse - à défaut de la réponse - et les réponses à tant d’interrogations essentielles soulevées dans La Ville.

Lieu de convergence et de divergences, d’espoirs, de renoncements, de rassemblement et de solitude, de mémoire et de dissolution… cette ville, comment la saisir dans sa multiplicité, son authenticité, son instantanéité, bref dans son unicité ? Le haïku, si précis, si incisif apparaît comme un des genres les mieux appropriés pour répondre à cette exigence. Les nombreuses voix, bulgares, françaises ou autres qui s’élèvent dans cette anthologie, brossent d’elle un riche panorama en ce début de troisième millénaire, moment charnière s’il en est de réflexion sur l’être, son passé et son devenir.
Amie lectrice, ami lecteur, promenez-vous dans La Ville, vous y croiserez vos semblables et votre âme peut-être - l’âme du monde assurément.

Danièle Duteil, février 2014

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