ПОРТЕT
НA ГРAДA xaйky PORTRAIT DE LA VILLE, haïkus
Anthologie
bilingue de haïkus, bulgares et français, sous la direction de Christo Ke
Pélla. Deux préfaces : Roland Halbert / Danièle Duteil. ART GRAF PRINT,
Sofia, 2015. Format 100/70/16. ISBN : 978-954-9401-94-3. Les voix d’une
centaine d’auteurs déclinent la ville dans sa multiplicité, son authenticité,
son instantanéité.
La publication d’une anthologie, qui plus est
de haïku, constitue toujours un événement. L’originalité de celle-ci est de rassembler,
sur un thème commun, la ville, des textes de poètes de nationalités différentes
en version bilingue, bulgare et française.
Dans La
Ville, les haïdjins mêlent
naturellement leurs voix, apparaissant simplement dans l’ordre alphabétique des
prénoms. L’absence d’un plan défini offre ainsi au lecteur l’avantage de pouvoir
se promener entre les pages à son gré, d’emprunter des chemins de traverse sans
craindre d’être dérouté. Un parcours de lecture libre, adapté à la fantaisie personnelle
et au rythme moderne, plus particulièrement peut-être au rythme chronophage imposé
par la vie citadine.
Une anthologie éveille immanquablement la curiosité même si,
relevant de choix – ici nationalités, auteurs, genre poétique et sujet traité-
elle est obligatoirement restrictive.
Le thème de la ville constitue un sujet intéressant à plusieurs
titres. D’abord parce que le haïku est d’ordinaire plutôt orienté vers la
nature qui, dans le périmètre urbain, se trouve fréquemment réduite à sa
portion congrue. Ensuite, la ville est un espace réel, souvent nommé
précisément : elle paraît de ce fait bien appropriée au genre. Puis il
s’agit d’un lieu particulier, propre à faire naître les réactions ou émotions
les plus variées, de l’attrait à l’indifférence en passant par la curiosité, le
plaisir, l’attachement, l’ennui, l’angoisse ou carrément le rejet. Elle
constitue aussi le siège de la mémoire individuelle et collective car elle
concentre l’histoire, les histoires des un.es et des autres, elle EST Histoire.
Enfin, elle s’impose comme miroir d’une société et des individus qui la
composent, dans tous les sens du terme, qui
composent avec elle serait-il judicieux d’ajouter.
Entre verre et béton
nous nous dévisageons –
cherchant nos âmes
KÉTI
BOZOUKOVA
La ville est tout sauf un endroit anodin par conséquent. Croquée
par le haïdjin, ce voyageur infatigable, elle va obligatoirement revêtir de
multiples aspects et faire surgir d’innombrables sentiments.
Elle peut apparaître désincarnée, totalement investie par l’humain
qui bétonne à tour de bras, domestique, voire mutile la nature. Par bonheur,
malgré le combat à mener, cette dernière parvient encore, dans la plupart des
cas, à « faire » sa place. Il arrive même que naissent entre elle
et l’individu de très intimes et bien douces relations.
La lune parfume
l’Acropole – le jasmin
blanchit la ville
OLIVIER WALTER
A l’évidence, l’état d’esprit de la personne qui la saisit de sa
plume influence largement la restitution finale.
Si l’architecture et les bâtiments de la
ville, ses bouches de métro, ses zones industrielles l’enlaidissent parfois,
ses monuments, ses parcs, ses musées, ont tendance à la magnifier à l’inverse.
Mais la laideur autant que la splendeur, la misère tout comme l’opulence la
racontent, historiquement et socialement parlant, narre la vie de ces gens, de
cultures différentes et très proches à la fois, qu’elle abrite.
Ces gens, à la réflexion, les
habitants des villes, qui sont-ils ?
La ville est le lieu de la foule par
excellence. Celle-ci est bien présente dans le haïku citadin mais de manière
plutôt implicite, à travers le brouhaha qu’elle génère ou ses silences, les
signaux lumineux qu’elle émet, les zones d’ombre où elle se dilue, les odeurs
qu’elle dégage et toutes les traces qu’elle laisse sur son passage.
Curieusement, peu de visages. Peut-être justement d’ailleurs, car où règne la
multitude, l’anonymat est maître. Quelque femme, enfant, vieillard entraperçus ici
ou là … furtives projections d’un désir, d’un souvenir, d’une inquiétude, d’une
solitude.
Etrange constat, une seule figure revient
très régulièrement, celle du mendiant. Il porte différents noms, « sans-domicile »,
« sans-abri », « clochard », ou bien encore on l’appelle affectueusement
« clodo »… Il revêt en principe les traits d’un.e adulte mais apparaît
aussi bien sous l’aspect d’un gamin, d’une gamine des rues. Il arrive même
qu’un chien ou un chat figurent au nombre de ces « sans-logis ».
Un chien de ville sans abri.
On se regarde
apeurés tous les deux.
DIMITRINA GANTCHEVA
Pourquoi autant de regards focalisés sur ce personnage démuni - ou
riche de sa différence, c’est selon ?
À chacune, à chacun finalement de trouver sa réponse - à défaut de
la réponse - et les réponses à tant
d’interrogations essentielles soulevées dans La Ville.
Lieu de convergence et de divergences,
d’espoirs, de renoncements, de rassemblement et de solitude, de mémoire et de
dissolution… cette ville, comment la saisir dans sa multiplicité, son
authenticité, son instantanéité, bref dans son unicité ? Le haïku, si
précis, si incisif apparaît comme un des genres les mieux appropriés pour
répondre à cette exigence. Les nombreuses voix, bulgares, françaises ou autres
qui s’élèvent dans cette anthologie, brossent d’elle un riche panorama en ce
début de troisième millénaire, moment charnière s’il en est de réflexion sur
l’être, son passé et son devenir.
Amie lectrice, ami lecteur, promenez-vous
dans La Ville, vous y croiserez vos
semblables et votre âme peut-être - l’âme du monde assurément.
Danièle Duteil, février 2014
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