mardi 31 mai 2016

HAÏKU, DUMON GERARD : Trois petits pas sur le sable...



Trois petits pas sur le sable…

Haïku et Poésies brèves

Gérard Dumon

La Grange de Mercure, édition et promotion du patrimoine,
préface de Vincent Hoarau, 2016, 8.50 €. ISBN : 979-10-92818-30-7.


Trois petits pas sur le sable… est une invitation à la promenade. Aussi, nous laissons-nous volontiers entraîner dans l’univers de Gérard Dumon, qui s’ouvre en trois volets : La sente du marais, Rivages et Tout au bout du quai.

La sente du marais déploie un monde de silence. On guette la première « lueur de l’aube », « le cri d’un freux solitaire », la risée sur l’étang. Les éléments du décor sont posés par touches légères, impressionnistes : vie ténue surprise au détour d’une haie, envol gracieux d’une aigrette ou frémissement d’une feuille froissée par la brise.
Instants de grâce, de parfaite osmose, où le poète et son environnement ne font qu’un.

humeur printanière
n’être plus qu’une particule
perdue dans l’univers

Un pas de plus, et l’estran à son tour accueille « la création du monde », lentement libéré de ses brumes marines. Ambiance feutrée que celle de Rivages… Le paysage de sable et d’eau s’immobilise parfois au gré d’un passage de strates brumeuses. Pas d’éclats : Gérard Dumon paraît préférer à la tempête l’accalmie qui lui succède – on reconnaît-là le Sage :

ballet de mouettes
en choisir une puis longtemps
la suivre des yeux

Le troisième pas mène Tout au bout du quai où défilent les saisons, ponctuées par les menus événements de la vie : la marche balbutiante d’un enfant sur le sable, les plaisirs de la plage, la nonchalance estivale.
Bientôt, les premières bourrasques de l’automne surviennent, les bateaux s’habillent de brume et la vie semble s’absenter. Le monde entre en sommeil.

fermant les volets
il érafle
un coin de brume

J’ai goûté avec délice cette incursion sur le littoral charentais qui m’a vu naître. Les photos de Gérard Dumon, couleur ou noir et blanc, vision personnelle et artistique, ajoutent encore de la poésie à la poésie. Refermant le recueil, je laisse le charme continuer d’opérer, une légère saveur iodée en bouche.


Danièle Duteil, 25 mai 2016

TANKA, CHIPOT DOMINIQUE : Le Livre du Tanka francophone



Le Livre du Tanka francophone 

Dominique Chipot

éditions du Tanka francophone, 2011



Hasard du calendrier ? Le livre du tanka francophone a été publié au dernier trimestre 2011 et je remarque, à la lecture des premières pages,  que la célèbre poétesse de tanka japonaise, Yosano Akiko, foulait justement le sol de la capitale française en 1912. Les plus curieux pourront d’ailleurs prendre connaissance de cet épisode grâce à l’accès libre, en ligne, à la traduction par Claire Dodane[1] du récit intitulé Yosano Akiko (1878-1942) : Le séjour à Paris d’une Japonaise en 1912. A moins qu’ils ne préfèrent parcourir la version papier[2].

Si ce passage à Paris resta plutôt discret à l’époque, il est frappant de constater qu’un siècle plus tard, à quelques mois près, le petit poème qu’elle maniait avec tant de délicatesse, a fini par éclore dans le paysage poétique francophone.
Il était donc devenu intéressant et nécessaire de consacrer un ouvrage à cette aventure littéraire. L’auteur l’a bien compris qui choisit de nous l’offrir aujourd’hui et d’aborder ce sujet en quatre développements intitulés respectivement Les premiers tankas francophones, Ecole et revue du tanka international, L’art du tanka francophone, Du génie poétique : la rhétorique du waka.  

Dans Les premiers tankas francophones, Dominique Chipot relate la lente introduction de la poésie japonaise en France, à la fin du 19e siècle ; il est même question d’un « désert poétique » dû, semble-t-il à une « prééminence de la Chine sur le Japon » jusqu’en 1858.
Des figures se dégagent, auxquelles nous devons la diffusion de la littérature japonaise sur notre territoire à partir des années 1870. Tel est le cas par exemple de Léon de Rosny, auteur de différents travaux sur la poésie japonaise ; Judith Gautier, la première à adapter en Français des tankas japonais ; Paul Louis Couchoud qui, à l’aube du 20e siècle, donne à cette poésie un élan décisif grâce à une étude sur le haïku et à ses traductions de tankas ; Emile Lutz, premier auteur de tankas francophones connu à ce jour ; Jean-Richard Bloch, acteur du tanka des plus marquants ; Jean Paulhan, auteur de la première anthologie de haïku français ; ou encore Paul Fisch, René Druart, la poétesse de tanka Renée Gandolphe de Neuville.

Si le haïku rencontre en France un succès certain dès Paul-Louis Couchoud, le tanka peine à se faire reconnaître. En effet, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’il gagne vraiment les salons littéraires parisiens, quand Hisayoshi Nagashima crée « un cénacle spécialiste du tanka » et que Jehanne Grandjean, poètesse à l’initiative du tanka régulier français, se joint à lui. À partir de 1953, paraît la Revue du Tanka International.
D’autres noms s’imposent encore en France en matière de littérature japonaise, comme celui de Roger Munier, dans le domaine du haïku, ou encore de Jacques Roubaud, oulipien, tandis qu’outre-Atlantique résonnent ceux de Jean-Aubert Loranger et, très près de nous, André Duhaime, promoteur incontesté du tanka.
La seconde revue de tanka est fondée au Québec par Patrick Simon, en 2007.

La deuxième partie du Livre du Tanka francophone, École et revue du tanka international, retrace d’abord l’histoire, plus exactement la Petite histoire illustrée, de l’École Internationale du Tanka (1948-1973) et développe les quatre objectifs recherchés : diffuser le tanka dans le monde, afin d’aider au rapprochement des peuples en favorisant l’écriture de tankas chacun dans sa langue ; réformer la poésie occidentale en l’orientant vers plus de simplicité et de sobriété ; œuvrer pour la paix des peuples et des âmes en créant des liens de fraternité à travers le tanka propre à réorienter le siècle vers le Beau ;  faciliter les échanges culturels entre la France et le Japon : des relations mises en place dès 1952, date de création à Tokyo d’une section japonaise de l’école du tanka.
D’autres écoles et revues sont inaugurées au Japon et, en 1957, est publiée l’anthologie intitulée Tanka international, dirigée par Maître Nobutsuna Sasaki, offrant des tankas en japonais et en français ainsi que dans la langue maternelle des contributeurs. Une autre anthologie paraîtra en 1967.
Cette seconde partie s’enrichit de la description d’Une séance à l’École Internationale du Tanka : lieux raffinés, personnalités de haut rang, ambiance pluri-artistique, séquences orchestrées en trois temps sur fond de causerie, récital et lectures de tankas, photographies d’époque à l’appui.
Elle fournit aussi moult détails sur La Revue du Tanka International éditée de 1953 à 1972 : tirage, aspect de la couverture, format, contenu (rubrique tankas illustrée de textes d’auteur.es francophones, japonais traduits, des fondateurs de l’école, Hisayoshi Nagashima et Jehanne Grandjean, et une quarantaine de poèmes écrits par des enfants),  financement de la revue couronnée en 1956 du prix de la Langue française décerné par l’Académie Française.
Suivent les portraits des fondateurs qui ont tant œuvré pour faciliter les échanges franco-japonais et promouvoir le tanka. Les lecteurs et lectrices prendront plaisir à découvrir par eux-mêmes, entre les pages de ce livre généreusement documenté de textes, manuscrits, photographies, portrait, Mme Jehanne Grandjean (1880-1982) et  M. Hisayoshi Nagashima (1896-1973).

Avec la troisième partie, L’art du tanka francophone, nous découvrons les règles essentielles à observer par quiconque souhaiterait devenir Kajin ou auteur.e de tanka.
L’accent est mis sur l’importance  de la musicalité et du rythme en 5 et 7, inscrit dans la tradition orale japonaise depuis les origines, qui renforce le sens sans recours à la rime. Mais les auteur.es contemporain.es ont défini « d’autres styles fixes » de tanka, présentés ici. Sont aussi à prendre en compte la césure et les divisions mêmes du poème.


L’oiseau dans sa cage
        Apaisé, dort maintenant ;
            Droite, sur la table
        S’élève la fumée mauve
        D’une blanche cigarette.
Hisayoshi Nagashima


les nuages
épais couvrent le matin –
une lumière
qui cache la vérité
du lit en désordre
Mike Montreuil, RTF6


Dominique Chipot montre encore combien la concision constitue une qualité indispensable à la pratique du tanka qui ne traite qu’un sujet à la fois tout en exprimant des sentiments, se gardant toutefois de conclure. Mme Grandjean elle-même dispense ses conseils avisés : « Cette poésie symbolique, courte et aiguë laisse plus à compléter qu’elle n’exprime elle-même… ».
Le tanka ne donne jamais dans la banalité mais préfère l’originalité, écartant cependant tout maniérisme. Il décrit la réalité avec minutie à l’aide d’un vocabulaire simple mais expressif et exprime « l’intériorité du poète » en faisant sentir « son souci et son intérêt pour la nature ».
Suivent plusieurs préceptes parmi lesquels la justesse du mot et du propos soigneusement polis, la sincérité, la capacité à communiquer l’émotion, à suggérer… tandis que les thèmes abordés par le tanka sont commentés, assortis d’exemples empruntés aux thèmes du tanka classique (saisons, amour, voyages…) autant qu’à ceux du tanka contemporain (ville, métier, politique…).

Seul et couché
Sur un oreiller d’herbes
Je sentais un parfum d’amande :
C’était celui du prunier d’un clos
Qui noblement le répandait
Saïgyô (1117-1190)

Des chaluts du large
le vieux pêcheur de daurades
Connaît les effets
la cloche au bout de sa ligne
ne tintera bientôt plus
Philippe Quinta

Cette section pédagogique s’achève par l’étude du style, ou plutôt des styles (agencement, association, effet zoom…) sans omettre de souligner l’importance du questionnement ou de la réflexion : autant d’éléments qui contribuent à donner du caractère et de l’intérêt au tanka.

La quatrième partie de l’ouvrage, Du génie poétique, la rhétorique du tanka, dévoile encore des techniques spécifiques à la poésie japonaise mais dont la connaissance peut s’avérer nécessaire à l’auteur.e du tanka francophone qui s’en inspirera avec bénéfice. Ainsi, Dominique Chipot entreprend-il d’expliquer des notions telles que le « mot oreiller », le « mot d’introduction », le « mot pivot » ; ou bien l’homophonie et les « mots à double entente ». Il évoque de même « l’oreiller du poème », les « mots liés », les jeux de résonnance entre poème ancien et  poème contemporain. Chaque procédé poétique est annoncé en japonais, suivi de son idéogramme et traduit en français.

L’ouvrage s’achève sur une bibliographie détaillée référençant les Ouvrages traduits en français contenant des tankas (ou waka) japonais.

Bref, Dominique Chipot offre-là aux amateurs de littérature, et particulièrement de poésie, un véritable ouvrage de référence richement documenté dans sa partie historique et complété d’un volet pédagogique clair, articulé autour d’exemples précis, qui guidera avec bonheur aussi bien le Kajin en herbe que le Kajin plus expérimenté.

Danièle Duteil, avril 2012


[1] Claire Dodane est professeure en littérature comparée à l’Université Lyon 3 et elle est l’auteure d’un ouvrage intitulé Yosano Akiko, poète de la passion et figure de proue du féminisme japonais (Publications Orientalistes de France, 2000).

[2] Référence papier : Claire Dodane, « Yosano Akiko (1878-1942) », CLIO. Histoire, femmes et sociétés, 28 | 2008, 194-203.
Référence électronique : Claire Dodane, « Yosano Akiko (1878-1942) », CLIO. Histoire, femmes et sociétés [En ligne], 28 | 2008, mis en ligne le 15 décembre 2011, consulté le 03 avril 2012. URL : http://clio.revues.org/8652 ; DOI : 10.4000/clio.8652

TANKA, GONFALONE-MODIGLIANI MARTINE : Lèvres litchis



Lèvres litchis

Martine Gonfalone-Modigliani

éditions du Tanka francophone, 2015

Préface




Le tanka, genre lyrique datant des premiers temps de la littérature japonaise, constituait l’apanage des gens de Cour. Forme  poétique très raffinée, « tanka » (waka, alors) signifie littéralement « poésie chantée ». Ainsi était-elle exprimée dans le Japon ancien. Un de ses thèmes favoris, lié à la nature, était l’amour, thème universel illustré dans l’histoire de la littérature par bien des courants poétiques.
Lèvres litchis, qu’on considèrera comme un renga – enchaînement poétique dû normalement à plusieurs poètes –, à une voix ici, s’inscrit dans la tradition en illustrant de bout en bout l’amour. Martine Gonfalone-Modigliani débute par un « Prélude », allusion aussi bien à un morceau musical qu’à des jeux érotiques. Elle termine par un « Envoi », comme pour une ballade. Le mot « ballade » est issu de  l’ancien provençal « ballada » ou « danse ». À l’origine une chanson de danse, la ballade comporte un refrain. Sa rythmique, en quelque sorte « circulaire », n’est pas sans rappeler le mouvement du renga classique, ainsi que les grands cycles de la création, ou la symbolique yin-yang du couple.
 Ancrée dans le cosmos, la présente composition poétique enchaîne les versets en six mouvements, dont les titres sont liés à la fois aux quatre éléments vitaux, eau, terre, feu, vent, et aux cinq sens : « Immersion », « Effluves », « Brûlure », « Caresse », « À tout vent », « Éclats ». Entre l’être humain et son environnement, se crée une alchimie née de l’écoute attentive du monde. L’émoi qui en découle est évidemment d’autant plus intense que la personne s’ouvre aux charmes de l’amour.

Martine Gonfalone-Modigliani pose un décor digne des premières heures de la création de l’humanité : un îlot tropical bercé par les flots, avec sa « plage déserte », « le calme du lagon », l’homme, la femme, et le fruit à croquer.
On sait combien les îles ont nourri, continuent de nourrir, l’imaginaire poétique et les fantasmes amoureux de nombreux artistes, écrivains ou peintres… à commencer par Homère, dont le héros Ulysse se voit retenu sept ans sur Ogygie par la très passionnée Calypso ; plus près de nous, on songe à la « dame créole » de Baudelaire, connue là-bas, « Au pays parfumé que le soleil caresse » ; ou encore au poète Saint-John Perse, très marqué par son identité insulaire, qui déclare à propos d’« Amers » que « la puissance de la mer [symbolise] à la fois le mouvement de la vie, le désir amoureux et la parole poétique ». Du côté des peintres, on revoit le fameux tableau de Watteau, « Embarquement pour Cythère », une île de la mer Égée, symbole des plaisirs amoureux, qui abritait un temple dédié à la déesse de l’amour Aphrodite. L’île, fragment de terre remonté des profondeurs de l’univers, comparable aux contrées obscures qui surgissent de l’inconscient, se pare dans les rêves d’innombrables atouts propres à susciter le vertige.
Martine Gonfalone-Modigliani a vécu les dix premières années de sa vie de couple sur l’île de La Réunion. Peut-on imaginer nom mieux prédestiné pour rimer avec idylle amoureuse ? Écrin de quelques kilomètres carrés de superficie, déposé au creux des flots et poussé vers le ciel, cette parcelle de territoire déploie de singuliers contrastes forgés par la conjugaison des éléments. L’eau, le vent, le feu et les soubresauts de la terre y ont sculpté des paysages bruts de cratères, cirques, failles, ravines, côtes façonnées au gré des coulées de lave,  d’où émanent un charme envoûtant. En outre, ses autres caractéristiques, climat tempéré, végétation luxuriante, faune notable, carrefour pluriethnique et multiculturel, ont vocation à procurer une jouissance sensuelle et spirituelle.
La poésie de Martine Gonfalone-Modigliani porte une intense charge érotique sublimée par les images issues du contexte naturel. Cet érotisme dépasse la fusion charnelle d’un homme et d’une femme : il envahit tout l’espace, intime, public, festif, animal, végétal, minéral, aérien...
Il est présent d’abord dans la géographie des lieux façonnés par la conjonction des principes féminin – la terre et l’eau –, et masculin – le roc, le vent et le feu. Le couple, et la nature qui l’encadre, sont accordés au même diapason : « fougueuse cascade », « falaise drapée d’écume », « écharpe de coton rose autour du piton »…
Symbole féminin et maternel, lieu d’abandon et de confiance, l’eau préside aux rites d’initiation, comme celui de l’amour charnel ici. Souterraine et aérienne, elle est censée faire gravir les étages de la connaissance :
dans le calme du lagon
lente la montée des eaux
Sous ces climats tropicaux où la pluie se déverse en abondance, à la saison chaude, la terre, comme la femme, est féconde. Les plaines et les versants se couvrent de champs de canne, fougères arborescentes, camphriers, palmiers,  bananiers, frangipaniers, tulipiers et toutes sortes de fleurs aux formes et carnations troublantes que l’insecte butine.
Les fleurs, telles la fleur d’allamanda, « en forme d’entonnoir et d’un jaune très soutenu », concentrent aussi en elles les principes féminin (cavité, fertilité) et masculin (soleil, miel). Elles allient intrinsèquement la terre et l’eau, l’air et
le soleil.
Les fruits, qui mûrissent en abondance, participent des délices des lieux, ainsi que le suggère le titre général du recueil, chargé de sensualité et de gourmandise Lèvres litchis. Le fruit, c’est la chair, qui apparaît dans de nombreuses déclinaisons de blancs et de roses, ou dans les lignes sculptées de la danseuse hindoue, dans la peau cuivrée d’un coupeur, le corps perlé d’eau de l’amant, les reins cambrés d’un homme rythmant la maloya autour des femmes... Parachevant cette poésie des couleurs, des formes et des sons, la saveur des toponymes, ou appellations des manifestations locales, offre aussi un pittoresque régal : « Bassin du Diable », « noms de tous les saints » baptisant les villages, « Bal la poussière »… 
Nombre d’ingrédients flatteurs ajoutent encore de la volupté à la volupté : parfums subtils, « odeur de l’ylang-ylang », essences de bois… soulevés par quelque alizé complice, regard entendu d’un gecko, chatouillis d’un insecte,
magie du « chant des crapauds-buffles », « robes virevoltantes », bijoux et grelots, rythmes et mélopées, souffles, corps à corps d’un slow dans la moiteur et la pénombre… Tout concourt à créer une ambiance lascive invitant au lâcher-prise, au point de « ne plus entendre les vagues se briser sur le récif ».
Lents préludes que la foudre peut enflammer d’un seul coup.
Le feu est omniprésent sur une île volcanique. Et là, plus qu’ailleurs, il s’offre dans tous ses états : langue de lave, cratère de la Fournaise, toujours prêt à souffler les entrailles torrides de la terre, « feu sur l’autel », brasier de la fête, la Source Chaude... Sa vigueur n’a d’égale que la fougue brûlant les cœurs et les corps des amants. Car la flamme amoureuse est encore richement illustrée à travers toute la gamme de rouges offerts par l’environnement : « piment-oiseau », cardinal en livrée nuptiale vermillon, « robes rouges », « fleur d’hibiscus en jupon carmin », « pétales de sang » des flamboyants…
Planant sur cet univers de fougue et d’exubérance, le vent nourrit chaque espace, chaque parcelle de la création, sans doute aussi chaque recoin de l’imaginaire, élan de l’âme ou vibration du corps. De connivence, il peut souffler la tendresse, caresse tiède effleurant la nuque, balançant au passage les plumeaux de canne ; mais il est aussi prompt à s’emballer, à se métamorphoser en monstre déchaîné, ouragan ou cyclone, détruisant tout sur son passage. Il rappelle que le parcours initiatique comporte aussi des embûches et qu’il faut se garder de tenir comme acquis l’instant de grâce présent : tout comme le nid suspendu, dangereusement malmené par la tempête, l’amour est susceptible d’être balayé d’un souffle imprévu. Tel est le sens de l’envoi.

Le thème de l’amour, tellement exploité déjà dans la littérature, est difficile à renouveler. Mais Martine Gonfalone-Modigliani, à travers une écriture ciselée, délicate et sensuelle, a su en éviter les écueils, fadaises et autres lieux communs. Livrant là un beau recueil de tankas, elle invite à savoir accueillir avec  délectation les merveilles prodiguées par la nature… Et ce d’autant plus qu’elle possède une conscience aiguë de la fragilité de toute destinée.
Lire en se délectant le présent recueil, Lèvres litchis, y revenir pour mieux le savourer encore.

Danièle DUTEIL, juin 2015