de vagues… en
l’âme
Patrick Fetu
Éditions
Unicité, octobre 2015, 20 €. ISBN : 978-2-37355-022-1.
Le titre et la photo de la Une de couverture donnent
le ton : dans ce livre d’art, Patrick Fetu ouvre grand la fenêtre sur la
mer, cœur, regard, objectif confondus, pour offrir un régal poétique et visuel
nommé haïsha. Photo et haïku s’agrègent, se frôlant sur un fil ténu, tout en
traçant leur voie propre dans les représentations mentales individuelles.
vague après vague
ce que l’enfant dessine
s’efface
wave after wave
what the child is drawing
washes away
Monde de l’entre-deux, bercé par le flux et le reflux…
Tant en français qu’en anglais, l’harmonie imitative est réussie, suggérant à
la fois la répétition, puis l’estompe, jusqu’à l’amuïssement. Les haïkus de
Patrick Fetu sont frappés du sceau d’une esthétique nommée, par les esthètes
japonais, « yûgen » : d’elle émane ce je ne sais quoi d’indicible,
mêlant mystère et fugacité.
Inlassablement
les vagues effacent les pas –
passage sur terre.
La poésie aussi se laisse happée par le grand élan
universel. Dans cet espace flottant, empreint de « wabi-sabi »[1], la conscience de l’impermanence
est décuplée. Aussi, la tonalité oscille-t-elle entre nostalgie et mélancolie. Les
souvenirs inscrits depuis longue date ressurgissent, restitués à la faveur des
marées chargées de trésors, d’un rire d’enfant courant sur la plage, d’un
château de sable vaillamment dressé contre l’assaut des flots, du sifflement du
vent sur la dune échevelée ou dans la lande mauve qui « s’étire »,
d’un regard croisé, tout délavé d’avoir tant côtoyé l’immensité, d’une carcasse
rongée par le temps, d’un goût de sel sur les lèvres, intense volupté…
Sur sa peau
j’ai goûté
la mer.
Une
belle sensualité traverse le texte, assaisonnée parfois d’un brin
d’humour :
Vacances normandes
la plage de sable fin
… et ses seins en pomme.
La mer reste toutefois un univers contrasté, doux et
rude à la fois, changeant, instable. Rien d’étonnant à ce qu’elle génère des
pensées fluctuantes :
marée basse –
le vent confident
de mon vague à l’âme
Chacun.e sait que, prompte à se déchaîner, elle peut
se révéler d’une grande cruauté. Je me rappelle mon grand-père, marin breton,
qui entonnait immanquablement, à la fin des repas de famille, « Un homme à
la mer ».
Âpre destin du matelot, de l’épouse aussi, sentinelle
des heures interrogeant inlassablement l’insondable vastitude.
Grand Pardon –
en retrait deux femmes
fixent l’horizon
Pourtant, quand vient le grand âge, tandis que
« le vieux rafiot » rouille à quai, l’Ancien a parfois du mal à renoncer
à l’aventure, et à garder son équilibre sur la terre ferme :
Naufragé
devant son ballon de rouge
le vieux bourlingueur.
La mer, élément féminin mystérieux, contradictoire et
éblouissant, suscite un attachement profond, une véritable passion.
Dentelle blanche –
les vagues éclatent
jusqu’au noir du ciel
Miroir et
mémoire, elle abrite dans ses abysses profonds des continents obscurs, tout
comme ces contrées inexplorées lovées dans les méandres de
notre psychisme.
notre psychisme.
Elle est élan vital, souffle premier, principe nourricier,
régénérateur, entretenant dans le corps et l’esprit une énergie archaïque
accordée au
mouvement cosmique.
mouvement cosmique.
Au chant de la mer
répond celui des oiseaux
entre chien et loup
Et si elle exerce sur les esprits une telle
fascination, c’est qu’elle est d’essence quasi divine.
au bout de la jetée
l’infini de la mer
et moi
Conjuguant les talents de poète et de photographe de
Patrick Fetu, de vagues… en l’âme sollicite
tous les sens, invite à la rêverie, à la contemplation et à une communion
totale avec l’univers marin. Chaque page offre à l’imaginaire de bien
séduisantes échappées, de sorte qu’on se laisse volontiers entraîner dans le
voyage, portés par le rythme des mots et
l’émotion.
Danièle Duteil
[1].
Wabi-sabi, concept
esthétique japonais alliant deux principes :
wabi :
solitude, mélancolie, tristesse, nature, simplicité… ; sabi :
altération par le temps, patine des objets, goût pour les choses vieillies…
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