dimanche 29 mai 2016

HAÏKU, FETU PATRICK : de vagues... en l'âme



de vagues… en l’âme

Patrick Fetu


Éditions Unicité, octobre 2015, 20 €. ISBN : 978-2-37355-022-1.


Le titre et la photo de la Une de couverture donnent le ton : dans ce livre d’art, Patrick Fetu ouvre grand la fenêtre sur la mer, cœur, regard, objectif confondus, pour offrir un régal poétique et visuel nommé haïsha. Photo et haïku s’agrègent, se frôlant sur un fil ténu, tout en traçant leur voie propre dans les représentations mentales individuelles.

vague après vague
ce que l’enfant dessine
s’efface

wave after wave
what the child is drawing
washes away

Monde de l’entre-deux, bercé par le flux et le reflux… Tant en français qu’en anglais, l’harmonie imitative est réussie, suggérant à la fois la répétition, puis l’estompe, jusqu’à l’amuïssement. Les haïkus de Patrick Fetu sont frappés du sceau d’une esthétique nommée, par les esthètes japonais, « yûgen » : d’elle émane ce je ne sais quoi d’indicible, mêlant mystère et fugacité.  

Inlassablement
les vagues effacent les pas –
passage sur terre.

La poésie aussi se laisse happée par le grand élan universel. Dans cet espace flottant, empreint de « wabi-sabi »[1], la conscience de l’impermanence est décuplée. Aussi, la tonalité oscille-t-elle entre nostalgie et mélancolie. Les souvenirs inscrits depuis longue date ressurgissent, restitués à la faveur des marées chargées de trésors, d’un rire d’enfant courant sur la plage, d’un château de sable vaillamment dressé contre l’assaut des flots, du sifflement du vent sur la dune échevelée ou dans la lande mauve qui « s’étire », d’un regard croisé, tout délavé d’avoir tant côtoyé l’immensité, d’une carcasse rongée par le temps, d’un goût de sel sur les lèvres, intense volupté…

Sur sa peau
j’ai goûté
la mer.

Une belle sensualité traverse le texte, assaisonnée parfois d’un brin d’humour :

Vacances normandes
la plage de sable fin
… et ses seins en pomme.

La mer reste toutefois un univers contrasté, doux et rude à la fois, changeant, instable. Rien d’étonnant à ce qu’elle génère des pensées fluctuantes :

marée basse –
le vent confident
de mon vague à l’âme

Chacun.e sait que, prompte à se déchaîner, elle peut se révéler d’une grande cruauté. Je me rappelle mon grand-père, marin breton, qui entonnait immanquablement, à la fin des repas de famille, « Un homme à la mer ».
Âpre destin du matelot, de l’épouse aussi, sentinelle des heures interrogeant inlassablement l’insondable vastitude.

Grand Pardon –
en retrait deux femmes
fixent l’horizon

Pourtant, quand vient le grand âge, tandis que « le vieux rafiot » rouille à quai, l’Ancien a parfois du mal à renoncer à l’aventure, et à garder son équilibre sur la terre ferme :

Naufragé
devant son ballon de rouge
le vieux bourlingueur.

La mer, élément féminin mystérieux, contradictoire et éblouissant, suscite un attachement profond, une véritable passion.

Dentelle blanche –
les vagues éclatent
jusqu’au noir du ciel

 Miroir et mémoire, elle abrite dans ses abysses profonds des continents obscurs, tout comme ces contrées inexplorées lovées dans les méandres de
notre psychisme.
Elle est élan vital, souffle premier, principe nourricier, régénérateur, entretenant dans le corps et l’esprit une énergie archaïque accordée au
mouvement cosmique.

Au chant de la mer
répond celui des oiseaux
entre chien et loup

Et si elle exerce sur les esprits une telle fascination, c’est qu’elle est d’essence quasi divine.

au bout de la jetée
l’infini de la mer
et moi

Conjuguant les talents de poète et de photographe de Patrick Fetu, de vagues… en l’âme sollicite tous les sens, invite à la rêverie, à la contemplation et à une communion totale avec l’univers marin. Chaque page offre à l’imaginaire de bien séduisantes échappées, de sorte qu’on se laisse volontiers entraîner dans le voyage,  portés par le rythme des mots et l’émotion.

Danièle Duteil


[1]. Wabi-sabi, concept esthétique japonais alliant deux principes :
wabi : solitude, mélancolie, tristesse, nature, simplicité… ; sabi : altération par le temps, patine des objets, goût pour les choses vieillies…

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