Éditions
Galilée, septembre 2014, 14 € / ISBN : 978-2-7186-0911-9
Michel Onfray
Avant le silence :
Haïkus d’une année
Achevant la lecture du recueil de Michel Onfray, Avant le silence : Haïkus d’une année, je referme une parenthèse de douze mois, de mars 2013 à mars 2014, d’un printemps à un autre printemps. Entre ces deux saisons, prend place le déroulé des jours, minutieusement datés, assorti de la mention de l’heure, de la minute, de la ville et du lieu précis. Chaque détail revêt une importance majeure, comme s’il devait être gravé dans la mémoire, comme s’il fallait coûte que coûte retenir – instinct prémonitoire ? ces parcelles de vie avant que toute trace ne s’efface.
Tic-tac de la pendule
Lumière blanche
Le prunier tremble.
Lundi 25 mars 2013, 12h 02
Argentan
Alors que la nature
s’éveille, le compte à rebours débute pour la compagne de l’auteur : il
ignore encore que l’échéance est si proche. Le temps semble suspendu aux
secondes, à ce qui advient sans que nul n’y puisse rien changer. Le monde est
perçu par les sens de manière fragmentaire, il apparaît presque flottant,
fragile comme la neige de printemps, le soleil miniature, le premier papillon, la fleur de cerisier. Autant de touches de presque rien, parfois
traversées d’un souvenir, ver luisant
de l’enfance, geste du père qui n’est plus… ou d’une réflexion sur le devenir
de toute vie nécessairement vouée à la disparition.
Le jour, la nuit, à
l’écoute de l’univers, de la vastitude et du minuscule, de l’espace-temps qui se
rétrécit et se dilate à l’envi, au gré des circonstances, le poète se recentre :
Dans le jardin zen
Vidé de moi
Plein du monde.
Lundi 13 mai, 0h 50, dans mon lit
Souvenir de Kyoto
L’été survient, escorté
de son soleil insolent face à une réalité
brutale, martelant à trois reprises le diagnostic de fin de vie. L’existence apparaît alors bien dérisoire :
Vivre ?
Une longue maladie
Puis mourir
Sans date, début août
Quelques évocations de
la nature encore, puis l’espace s’inverse : l’écriture tout à coup se
concentre sur ELLE, mais sans s’appesantir. Tout va tellement vite d’ailleurs,
le temps d’un soupir :
Jeudi 8 août
Soleil d’été
C’est fini.
14h 05
À Caen, où j’attendais
Au cœur de la belle
saison, il faut apprendre à vivre avec
l’absence, avec une partie de soi amputé,
comme vit / le poulet au cou coupé. L’heure ne signifie plus grand-chose,
les saisons elles-mêmes semblent bouleversées :
Dans Tigreville
Un singe en hiver
Longe la plage
Dimanche 1er septembre, 18h
Villerville
L’automne est bref,
trempé de larmes en tous lieux, ponctué de fractures et de visions
d’arrachement qui disent assez l’état d’esprit de l’auteur : coquille de
noix tombée du ciel, oiseau mort,
chapeaux ayant perdu la tête,
illusion d’un visage sous la glace. Les préparatifs des fêtes renforcent encore
le sentiment profond d’isolement et de morosité :
Lumières de Noël
Petits feux des
solstices
Nuits les plus longues
Jeudi 5 décembre, 17h 30
Dans les rues de Bruxelles
La longue nuit de
l’hiver s’insinue à travers le texte et le noir s’impose comme
couleur dominante :
couleur dominante :
Pierres noires
Cathédrale noire
Nuit noire.
Vendredi 28 février, 20h 40
Clermont-Ferrand
La lumière du jour se
fait discrète, pâle ou blanche, réduite à sa plus simple expression, rai, tronçons
de lune.
Le temps de la solitude
venu, le « je » surgit un peu plus fréquemment :
Sous ma fenêtre
Départ des enfants pour
l’école
Moi il y a un
demi-siècle
Lundi 27 janvier, 13h 25
Dans le jardin de Chambois
Curieusement, alors que
l’homme semble reclus, il apparaît dans une multitude de lieux : à Caen,
Sète, Bordeaux, Évry, Chambois, Clermont-Ferrand, Villerville, sur l’île
Maurice. Occupations professionnelles ou congés peut-être. De cette mobilité
cependant se dégage une impression de fuite, comme une volonté d’échapper à la
réalité si pesante…
Trop hauts
Trop lourds
Bambous effondrés
Lundi 27 janvier, 10h 30
Idem
Mais comment l’esprit
pourrait-il s’échapper quand tant de visions, habituellement anodines, le
renvoient justement à sa préoccupation
essentielle, en quelque lieu qu’il soit ?
Gracile sur le sol
Depuis hier
La libellule morte
Samedi 15 mars, 6h 30
Île Maurice
Avec le retour du
printemps, le cycle des saisons s’achève. La roue continue de tourner,
inéluctablement. La vie, ordinaire et fascinante, côtoie la mort, non moins
ordinaire et fascinante. Les deux derniers haïkus revêtent un caractère presque
surnaturel : le masque, qui peut apparaître comme le symbole de la mémoire
des ancêtres, veille, tandis que la cendre des défunts devient encore plus
cendre.
Dans le miroir
Le masque africain
Me regarde
Nuit de dimanche à lundi, 2h
Chambois
Effondré sur lui-même
Après l’incendie
Le funérarium
Lundi 24 mars, 11h 30
Argentan, devant le cimetière, en allant à Caen
Toute trace disparaît.
Le silence retombe.
Pourquoi l’auteur
a-t-il choisi le haïku pour confier ces moments difficiles de sa vie ?
Vraisemblablement parce que la parole est superflue, en de telles
circonstances. Les grandes souffrances étant muettes, le haïku, « poème
sans mots », semble le mieux adapté à les évoquer, sans ostentation. Forme
minimale, il rappelle, s’il le fallait encore, la petitesse de l’être humain
face à sa destinée.
Danièle
DUTEIL
Beaucoup d'émotion et envie de le lire ♡
RépondreSupprimerMerci beaucoup, Lune !
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