Hélène PHUNG
Tes murmures et tes silences
Les Éditions du tanka
francophone, avril 2016, 10 €. ISBN : 978-2-923829-23-4
Par Danièle
Duteil
Le silence est devenu denrée rare et précieuse. Nos
oreilles, nos yeux, notre mental sont en permanence sollicités par trop de
stimuli, jusqu’à la saturation. Il est donc urgent de savoir écarter bruits,
images et toutes informations parasites, pour ouvrir la parenthèse du silence, ce
lieu de respiration indispensable à l’équilibre personnel. Alors il devient
possible de percevoir ce qui dans l’agitation restait invisible ou inaudible. Hélène
Phung connaît bien les vertus de ces pauses qui recréent des espaces d’accueil :
je voudrais
tant écouter
tes silences
et tes murmures
On emploie l’expression « faire le vide »
pour désigner ces retraites accordées à l’esprit. Pour certaines personnes, le
vide est automatiquement synonyme de vertige, pour d’autres de néant. Dans la
culture occidentale, il a souvent à voir avec manque, privation et absence.
Pour Hélène, de racines vietnamiennes, il signifie plénitude, sillons
ensemencés, « senteurs de forêt », fruits mûrs, débordement :
on ne l’avait
pas prévu
ce printemps
hors de mes lèvres
Quand la perception devient plus aigüe, le chant du monde
se recompose. Comme dans la prime enfance, il s’agit de retrouver un instinct,
sinon perdu en tout cas bien émoussé, et faire en sorte que l’être tout entier
se hisse vers l’essentiel en renouant avec de fraîches sensations :
Il est
difficile d’atteindre
au bout de la
branche
la cerise
noire
ah !
celle de mon enfance
tant et tant
de fois cueillie
Dans ce silence qui nous relie à ce qui est, qui nous
fait apercevoir « le bout du monde », l’émotion remonte à l’état pur,
souvenirs extirpés jusqu’à la racine, « parfum de cire », odeur de « terre
de porcelaine », goût de sel… les perceptions sont décuplées.
Silence d’oiseau
pas une
feuille ne tremble
Cette écoute profonde laisse entrevoir de nouveaux possibles,
elle est un espace offert où l’être se déploie, prenant, au contact de la
nature, la mesure de l’instant et de sa place dans le monde. Elle est voyage à
la rencontre de soi, mais aussi disponibilité, suspension du temps, attente d’une
autre rencontre… « souffle sur nos peaux / tendues comme des tambours ».
Alors, dans cette brèche ouverte entre passé, présent
et avenir, la vie advient. Elle est richesse, amour, profusion, déploiement des
sens, fête, festin : elle
est poésie.
est poésie.
Les seins de
miel vibrent
dans la paume
de tes mains
ô subtile
ruche
penchée
au-dessus de toi
quand l’or de
la nuit s’égoutte.
Chant érotique, ce tanka qui pourrait figurer dans Le Cantique des Cantiques[1]
résonne comme un hymne aux sens et à l’amour.
Déjà, le dessin de couverture, « Floraison »,
esquissée par l’auteure, nous mettait l’eau à la bouche, tandis que le superbe
avant-propos laissait présager bien des délices. Promesse largement tenue !
[1] Le
Cantique des Cantiques fait partie des Ketouvim
(autres écrits) dans le Tanakh — la
Bible hébraïque — et des Livres
poétiques dans l’Ancien Testament
— la première partie de la Bible chrétienne.
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