dimanche 5 juin 2016

TANKA, PHUNG HELENE : Tes murmures et tes silences



Hélène PHUNG



Tes murmures et tes silences



Les Éditions du tanka francophone, avril 2016, 10 €. ISBN : 978-2-923829-23-4

Par Danièle Duteil



Le silence est devenu denrée rare et précieuse. Nos oreilles, nos yeux, notre mental sont en permanence sollicités par trop de stimuli, jusqu’à la saturation. Il est donc urgent de savoir écarter bruits, images et toutes informations parasites, pour ouvrir la parenthèse du silence, ce lieu de respiration indispensable à l’équilibre personnel. Alors il devient possible de percevoir ce qui dans l’agitation restait invisible ou inaudible. Hélène Phung connaît bien les vertus de ces pauses qui recréent des espaces d’accueil :

je voudrais tant écouter
tes silences et tes murmures

On emploie l’expression « faire le vide » pour désigner ces retraites accordées à l’esprit. Pour certaines personnes, le vide est automatiquement synonyme de vertige, pour d’autres de néant. Dans la culture occidentale, il a souvent à voir avec manque, privation et absence. Pour Hélène, de racines vietnamiennes, il signifie plénitude, sillons ensemencés, « senteurs de forêt », fruits mûrs, débordement :

on ne l’avait pas prévu
ce printemps hors de mes lèvres

Quand la perception devient plus aigüe, le chant du monde se recompose. Comme dans la prime enfance, il s’agit de retrouver un instinct, sinon perdu en tout cas bien émoussé, et faire en sorte que l’être tout entier se hisse vers l’essentiel en renouant avec de fraîches sensations :

Il est difficile d’atteindre
au bout de la branche
la cerise noire
ah ! celle de mon enfance
tant et tant de fois cueillie

Dans ce silence qui nous relie à ce qui est, qui nous fait apercevoir « le bout du monde », l’émotion remonte à l’état pur, souvenirs extirpés jusqu’à la racine, « parfum de cire », odeur de « terre de porcelaine », goût de sel… les perceptions sont décuplées.

Silence d’oiseau
pas une feuille ne tremble

Cette écoute profonde laisse entrevoir de nouveaux possibles, elle est un espace offert où l’être se déploie, prenant, au contact de la nature, la mesure de l’instant et de sa place dans le monde. Elle est voyage à la rencontre de soi, mais aussi disponibilité, suspension du temps, attente d’une autre rencontre… « souffle sur nos peaux / tendues comme des tambours ».
Alors, dans cette brèche ouverte entre passé, présent et avenir, la vie advient. Elle est richesse, amour, profusion, déploiement des sens, fête, festin : elle
est poésie.

Les seins de miel vibrent
dans la paume de tes mains
ô subtile ruche
penchée au-dessus de toi
quand l’or de la nuit s’égoutte.

Chant érotique, ce tanka qui pourrait figurer dans Le Cantique des Cantiques[1] résonne comme un hymne aux sens et à l’amour.

Déjà, le dessin de couverture, « Floraison », esquissée par l’auteure, nous mettait l’eau à la bouche, tandis que le superbe avant-propos laissait présager bien des délices. Promesse largement tenue !


[1] Le Cantique des Cantiques fait partie des Ketouvim (autres écrits) dans le Tanakh — la Bible hébraïque — et des Livres poétiques dans l’Ancien Testament — la première partie de la Bible chrétienne.

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