mercredi 12 juillet 2017

PIERRE TANGUY - SILENCE HÔPITAL

Silence hôpital

Pierre Tanguy




Editions La part commune, février 2017. ISBN : 978-2-84418-334-7


Silence hôpital, annonce le recueil de haïkus de Pierre Tanguy. Immédiatement, surgit ce visage, un doigt sur la bouche, invitant à baisser le ton. Si bien qu’on entre dans le livre sur la pointe des pieds, attentif à ne pas déranger, dans ce lieu où se jouent tant de destinées, et où la notion même de temps devient si floue.

La maladie et la souffrance font certes partie du lot commun à tous, mais elles sont toujours difficiles à évoquer : la pudeur pose naturellement un frein à l’expression, de peur d’importuner. De sorte qu’exprimer avec mesure ses blessures intimes relève d’un réel talent.
Le haïku, poème de peu de mots, se révèle ici particulièrement adapté pour dire le vécu sans ostentation et partager des moments teintés de sentiments mêlés, émotion, découragement, révolte, espoir… Fragmentaire, il procède par gros plans, « toux rauque », poche de perfusion, mines de « papier mâché » ... Il isole, d’un trait de plume, un instant restitué dans sa densité, tout en ménageant de grandes plages vacantes chargées de non-dit. Le lecteur décide ou non de les investir, y projetant son imaginaire et son expérience propres. Car le haïku n’impose pas un monologue : il invite à l’échange.

Dans ce labyrinthe de couloirs
trouver quelqu’un
à qui parler

Sur le chemin qui conduit à l’hôpital, dans la salle d’attente, entre les quatre murs de la chambre, en route vers le bloc opératoire, comment dépeindre la grande solitude qu’affronte l’individu ?
Du fond du silence et de l’isolement émergent de rares paroles. Le temps alors s’écoule « goutte à goutte », derrière une porte close, près d’un lit blanc ici, dans un couloir ailleurs, où les bien-portants finissent par ressembler aux malades.

Le haïku, traditionnellement, comporte un mot de saison ou kigo. Mais, dans quelques occasions, le muki, haïku sans mot de saison, reste de rigueur :

Le jeune interne –
sa blouse blanche
son stylo noir

Le retranchement s’accorde aux choses du dedans. Alors, le moindre détail devient symbole ; il a tôt fait d’être interprété dans un sens favorable ou défavorable par un sujet sur le qui-vive.
Mais le plus souvent, bien que roulant des « pensées noires », dans l’entre-soi d’un espace confiné, le patient, l’accompagnant tout pareil, parviennent à instaurer un dialogue avec l’extérieur, palpable par la fenêtre parfois entr’ouverte. Tels Masaoka Shiki sur sa couche, ils guettent le plus infime signe susceptible de les raccrocher à la vie du dehors, la vie normale, fût-ce un ciel d’encre lourd de menaces. Une vague odeur de campagne portée par le vent, la chute des feuilles, une averse, un ciel étoilé, les recentrent, les reconnectent momentanément à l’univers. La nature, complice des heures et compagne attentive, s’applique à faire diversion, grêle interrompant une lecture ou chant d’oiseau gommant une douleur. A moins qu’elle n’apparaisse cynique, déployant un grand ciel bleu à l’heure la plus critique.

Une maladie, un séjour à l’hôpital, l’isolement, conduisent très vite à la perte des repères ordinaires, qui s’effritent rapidement. Comment, dans la morosité des jours trop semblables les uns aux autres, la notion même de calendrier ne s’effondrerait-elle pas ? Dans ces circonstances le haïku, guetteur des minuscules transformations à l’œuvre dans la succession des jours, s’affirme comme un allié précieux. Ainsi, Silence hôpital épouse-t-il le contour des saisons, à travers le champ resserré de la fenêtre ou celui des heures distendues, de l’automne en sa pleine lune à juin aux « nids haut perchés ». Aucun indice venu de l’extérieur, aucune métamorphose n’échappent à celui qui attend, impuissant « comme un hanneton renversé ». Bientôt, au fur et à mesure que la saison avance et que l’espoir renaît, la palette chromatique, d’abord très sombre, ou saisie dans des contrastes exacerbés de blancs, noirs, bleus, rouges…, s’adoucit, signalant que « le cœur s’allège ».

Dans Silence hôpital, Pierre Tanguy n’inflige pas au lecteur de longs discours inutiles. Le haïku lui permet de juxtaposer des séquences. Ses poèmes évidés impriment l’esprit en pointillés, comme le blanc de la page, ne déposant qu’une trace essentielle. Le reste se déroule hors du cadre visuel.