dimanche 29 mai 2016

HAÏBUN, BOUCHARD HELENE : Fenêtre sur le large



Fenêtre sur le large, haïbun, Hélène Bouchard, Éditions David, avril 2014

Commentaire publié dans "L'écho de l'étroit chemin", le journal de l'AFAH, juin 2014




Dans les pages de ce recueil, deux ans de la vie d’Hélène Bouchard, au cours desquels elle se fait l’écho de l‘ordinaire, du menu et du quotidien. Sa voix résonne en  un long haïbun composé de 74 maillons égrenant les saisons, qui se lisent aussi séparément. Avant-propos et épilogue, tous deux également écrits sous la forme de haïbun, éclairent, contiennent et prolongent à la fois cette tranche de vie.

Dès la couverture du recueil – qui découvre dans un rectangle évidé la Côte-Nord du Québec – et le titre, Fenêtre sur le large, l’espace d’écriture se définit à la fois comme paysage intérieur et  déploiement vers le monde :

Ouvrir une fenêtre, puis une autre, puis une autre.

Ainsi se révèle, entre maison et littoral, échappées dans la nature et parenthèses citadines, territoire familier et îles lointaines, êtres proches et étrangers indifférents ou bienveillants, un univers à géométrie variable. Autant de flux et reflux : au cœur des éléments, l’être tout entier, convoquant ses cinq sens,  s’emplit, se désemplit…

Je me recharge à cette source intarissable…

Face à cette plénitude, savourer le vide qui s’opère à l’intérieur de moi.

Si parfois plane une ombre passagère devant la fragilité de la vie, la froidure et la grisaille des mois d’hiver ou le désagrément provoqué par un rhume, très vite l’horizon s’éclaire à nouveau face à la blanche tranquillité d’un paysage enneigé, lors d’une escapade festive, à la faveur d’un brusque rayon de soleil après la pluie, à la vue d’un visage aimé :

héritage
de la grand-mère au petit-fils
le bleu du regard

Le haïku fonctionne ici comme un gros plan sur un présent expansé entre passé et avenir. Il est à la fois instantané et point d’orgue, à l’instar de la vie qui s’inscrit autant dans l’éphémère que dans la continuité.

Car si l’objectif passe tour à tour du champ large au plan rétréci et inversement, de l’enveloppe corporelle à la vastitude, il entraîne du même coup dans ses déplacements une pensée et une mémoire chargées de bâtir des ponts entre les générations. Ainsi, l’espace temporel, devenu à son tour malléable, balaye les époques, convoquant dans le moment vécu les années révolues. Si le petit-fils crée le lien, les femmes, fille, mère, grand-mère, qui transmettent la vie, également :

mon petit-fils
en habit de lapin
à croquer sur le vif

Chaque fête pascale me rappelle ces dimanches de mon enfance. […] Ma mère disait…


Le recueil d’Hélène Bouchard, écrit à la première personne, ne focalise pas sur le soi ou l’entre-soi. Au contraire, il ouvre grand la fenêtre et repousse  les limites de l’instant de sorte que, dilatant le cadre spatio-temporel, il dessine des passerelles entre les lieux, les époques et les personnes, s’appuyant sur le singulier pour finalement revêtir une portée universelle.

D. Duteil

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