Fenêtre sur le large, haïbun, Hélène Bouchard, Éditions David, avril 2014
Commentaire publié dans "L'écho de l'étroit chemin", le journal de l'AFAH, juin 2014
Dans les pages de ce recueil, deux
ans de la vie d’Hélène Bouchard, au cours desquels elle se fait l’écho de l‘ordinaire, du menu et du
quotidien. Sa voix résonne en un long
haïbun composé de 74 maillons égrenant les saisons, qui se lisent aussi
séparément. Avant-propos et épilogue, tous deux également écrits sous la forme
de haïbun, éclairent, contiennent et prolongent à la fois cette tranche de vie.
Dès la couverture du recueil –
qui découvre dans un rectangle évidé la Côte-Nord du Québec – et le titre, Fenêtre sur le large, l’espace
d’écriture se définit à la fois comme paysage intérieur et déploiement vers le monde :
Ouvrir une
fenêtre, puis une autre, puis une autre.
Ainsi se révèle, entre maison
et littoral, échappées dans la nature et parenthèses citadines, territoire
familier et îles lointaines, êtres proches et étrangers indifférents ou bienveillants,
un univers à géométrie variable. Autant de flux et reflux : au cœur des
éléments, l’être tout entier, convoquant ses cinq sens, s’emplit, se désemplit…
Je me recharge à
cette source intarissable…
Face à cette
plénitude, savourer le vide qui s’opère à l’intérieur de moi.
Si parfois plane une ombre
passagère devant la fragilité de la vie, la
froidure et la grisaille des mois d’hiver ou le désagrément provoqué par un
rhume, très vite l’horizon s’éclaire à nouveau face à la blanche tranquillité d’un paysage enneigé, lors d’une escapade
festive, à la faveur d’un brusque rayon de soleil après la pluie, à la vue d’un
visage aimé :
héritage
de la grand-mère
au petit-fils
le bleu du
regard
Le haïku fonctionne ici comme
un gros plan sur un présent expansé entre passé et avenir. Il est à la fois
instantané et point d’orgue, à l’instar de la vie qui s’inscrit autant dans
l’éphémère que dans la continuité.
Car si l’objectif passe tour à
tour du champ large au plan rétréci et inversement, de l’enveloppe corporelle à
la vastitude, il entraîne du même
coup dans ses déplacements une pensée et une mémoire chargées de bâtir des
ponts entre les générations. Ainsi, l’espace temporel, devenu à son tour malléable,
balaye les époques, convoquant dans le moment vécu les années révolues. Si le petit-fils
crée le lien, les femmes, fille, mère, grand-mère, qui transmettent la vie,
également :
mon petit-fils
en habit de
lapin
à croquer sur le
vif
Chaque fête
pascale me rappelle ces dimanches de mon enfance. […] Ma mère disait…
Le recueil d’Hélène Bouchard,
écrit à la première personne, ne focalise pas sur le soi ou l’entre-soi. Au
contraire, il ouvre grand la fenêtre et repousse les limites de l’instant de sorte que,
dilatant le cadre spatio-temporel, il dessine des passerelles entre les lieux,
les époques et les personnes, s’appuyant sur le singulier pour finalement
revêtir une portée universelle.
D. Duteil
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