lundi 30 mai 2016

ROMAN HAÏKU, HADDAD HUBERT : Mã



Mã

Roman de Hubert Haddad

éditions Zulma, 2015, 18 €. ISBN : 978-2-84304-724-4  


« La marche à pied mène au paradis ; il n’y a pas d’autre moyen d’y parvenir, mais il faut marcher longtemps. », lit-on en introduction au roman , d’Hubbert Haddad. L’auteur propose d’emblée une philosophie de vie ouverte à l’espace et au temps, tournée vers la nature, sur la sente initiée par d’autres. C’est Saori, universitaire passionnée par Santôka, qui éclaire le chemin du jeune Shōichi. La brève et tragique histoire d’amour, née « au cœur de Tokyo », entre cette femme d’âge mûr « d’une grâce ensorceleuse » et l’étudiant bredouillant, se double d’une autre rencontre, spirituelle et durable, avec le dernier grand haïjin. À partir du manuscrit perdu de Saori, consacré à Santôka, Shōichi publie plus tard un livre intitulé « Vivre avec Santôka ». Nous le retrouvons dans l’île de Shikoku, sur les traces du poète qui, profondément marqué par la mort violente de sa mère, marche « pour oublier une telle douleur » et ne plus ressasser.

C’est ainsi, il pleut
je suis trempé
je marche

Taneda Santôka

Quelle force pousse ainsi l’être humain à marcher, déterminé, certain que d’autres ont emprunté avant lui le même chemin ? Chemin d’errance, chemin de sagesse, chemin de vie, chemin de connaissance…. Poser ses pas dans les pas de ceux qui explorèrent le même sentier, à la recherche d’une vérité première, de l’origine…  n’est-ce pas là le destin du poète ?
À maintes reprises, on se prend à confondre le héros Shōichi et Taneda Shōichi, alias Santôka, comme si le temps s’était aboli, comme si, empruntant la même sente, leurs destinées finissaient par se rejoindre, comme bien d’autres, et s’amalgamer pour devenir indissociables.

« Comme Matsuo Bashō allant dans la foulée de Saigyō, son aîné de six cents ans, Santôka s’était mis en route derrière ces figures illustres. À mon tour, en parfait inconnu inspiré par une déesse, je reconduis aujourd’hui d’un pas actuel la ronde
des pèlerinages dans la merveille de l’instant, comme l’ombre d’une ombre
d’une ombre… ».

La solitude de l’homme est peuplée de ces ombres, « phénomène fabuleux de coprésence », strates successives tissant l’étoffe et la mémoire de l’humanité. À l’heure où sonne au loin la cloche du temple, Santōka ne surprend-t-il pas Bashō, « pérégrinant » à ses côtés, « sur les pas d’un maître d’antan » ?
Mais chaque vie s’agrège de même de toute rencontre fortuite, fût-elle le fait d’un infortuné égaré entre les voies d’un tramway.
« C’est ainsi : toute personne inconnue ouvre une demeure nouvelle. »

Ce nouveau roman initiatique d’Hubert Haddad n’est pas sans rappeler le précédent, Le peintre d’éventail, qui déploie pareillement sur chaque chemin de nouveaux chemins, à la croisée de deux mondes, mêlant Japon ancien et Japon d’aujourd’hui, et de destinées réunies par delà le temps et l’oubli. La nature y apparaît comme lieu de ressourcement, d’énergie essentielle, ce souffle vital, principe fondamental de l’univers, désigné par le terme ,. La déambulation non seulement devient une poétique du lieu, de l’espace, du temps et de l’instant, mais révèle encore, par un mode de transposition liée à la pensée orientale, la totalité du cosmos dans la moindre de ses parcelles – que j’aime à voir symbolisée par l’île, cette matrice originelle, ce fragment de la création, à l’instar du petit poème nommé « haïku ».

Danièle Duteil, février 2016


 

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