Mã
Roman
de Hubert Haddad
éditions Zulma, 2015, 18 €. ISBN : 978-2-84304-724-4
« La
marche à pied mène au paradis ; il n’y a pas d’autre moyen d’y parvenir,
mais il faut marcher longtemps. », lit-on en introduction au roman Mã, d’Hubbert Haddad. L’auteur propose
d’emblée une philosophie de vie ouverte à l’espace et au temps, tournée vers la
nature, sur la sente initiée par d’autres. C’est Saori, universitaire
passionnée par Santôka, qui éclaire le chemin du jeune Shōichi. La brève et
tragique histoire d’amour, née « au cœur de Tokyo », entre cette
femme d’âge mûr « d’une grâce ensorceleuse » et l’étudiant
bredouillant, se double d’une autre rencontre, spirituelle et durable, avec le
dernier grand haïjin. À partir du manuscrit perdu de Saori, consacré à Santôka,
Shōichi publie plus tard un livre intitulé « Vivre avec Santôka ».
Nous le retrouvons dans l’île de Shikoku, sur les traces du poète qui,
profondément marqué par la mort violente de sa mère, marche « pour oublier
une telle douleur » et ne plus ressasser.
C’est ainsi, il pleut
je suis trempé
je marche
Taneda Santôka
Quelle force pousse ainsi
l’être humain à marcher, déterminé, certain que d’autres ont emprunté avant lui
le même chemin ? Chemin d’errance, chemin de sagesse, chemin de vie,
chemin de connaissance…. Poser ses pas dans les pas de ceux qui explorèrent le
même sentier, à la recherche d’une vérité première, de l’origine… n’est-ce pas là le destin du poète ?
À maintes reprises, on se
prend à confondre le héros Shōichi et Taneda Shōichi, alias
Santôka, comme si le temps s’était aboli, comme si, empruntant la même sente, leurs
destinées finissaient par se rejoindre, comme bien d’autres, et s’amalgamer
pour devenir indissociables.
« Comme Matsuo Bashō
allant dans la foulée de Saigyō, son aîné de six cents ans, Santôka s’était mis
en route derrière ces figures illustres. À mon tour, en parfait inconnu inspiré
par une déesse, je reconduis aujourd’hui d’un pas actuel la ronde
des pèlerinages dans la merveille de l’instant, comme l’ombre d’une ombre
d’une ombre… ».
des pèlerinages dans la merveille de l’instant, comme l’ombre d’une ombre
d’une ombre… ».
La
solitude de l’homme est peuplée de ces ombres, « phénomène fabuleux de
coprésence », strates successives tissant l’étoffe et la mémoire de
l’humanité. À l’heure où sonne au loin la cloche du temple, Santōka ne
surprend-t-il pas Bashō, « pérégrinant » à ses côtés, « sur les
pas d’un maître d’antan » ?
Mais
chaque vie s’agrège de même de toute rencontre fortuite, fût-elle le fait d’un
infortuné égaré entre les voies d’un tramway.
« C’est
ainsi : toute personne inconnue ouvre une demeure nouvelle. »
Ce
nouveau roman initiatique d’Hubert Haddad n’est pas sans rappeler le précédent,
Le peintre d’éventail, qui déploie
pareillement sur chaque chemin de nouveaux chemins, à la croisée de deux
mondes, mêlant Japon ancien et Japon d’aujourd’hui, et de destinées réunies par
delà le temps et l’oubli. La nature y apparaît comme lieu de ressourcement,
d’énergie essentielle, ce souffle vital, principe fondamental de l’univers,
désigné par le terme Mã,. La
déambulation non seulement devient une poétique du lieu, de l’espace, du temps
et de l’instant, mais révèle encore, par un mode de transposition liée à la
pensée orientale, la totalité du cosmos dans la moindre de ses parcelles – que
j’aime à voir symbolisée par l’île, cette matrice originelle, ce fragment de la
création, à l’instar du petit poème nommé « haïku ».
Danièle Duteil, février 2016
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