Jacques POULLAOUEC : Haïku du chat
Éditions La
part commune, 2005
Publié dans "LaLettre de Ploc", juin 2014
Le chat a ouvert son œil
Je suis rentré dans son rêve
Le makimono[1] peut se dérouler.
Ainsi débute Haïku du chat de Jacques Poullaouec,
indiquant immédiatement combien le regard est important dans cette poésie. Quoi
de plus banal, somme toute, la poésie étant d’abord et avant tout une manière
particulière de regarder le monde ?
Surtout quand il s’agit de capturer l’instant, comme l’exige le haïku,
afin de restituer le réel avec la plus grande exactitude possible.
Mais ici, le regard
n’est pas ordinaire. Car il s’opère, entre le regardant et le regardé, une
véritable fusion. Peut-on parler de regard absolu ? Regard sans lequel
l’écriture ne serait qu’un faible reflet du vécu, ne pourrait pas avoir lieu,
tout simplement.
Comment mieux approcher
la vérité, en effet, qu’en se confondant avec l’objet ? Je songe ici au
poème de Guillevic, « Bergeries », dans lequel l’auteur décrit une
démarche identique :
Suppose
Que le vol d’un oiseau
Nous invite au voyage
Et que je te demande
De nous blottir en lui
Pour avec lui voler[2]
Que le vol d’un oiseau
Nous invite au voyage
Et que je te demande
De nous blottir en lui
Pour avec lui voler[2]
L’œil est
une fenêtre ouverte sur le monde. Et, dans la poésie de Jacques Poullaouec,
tout se passe comme si une fenêtre s’ouvrait sur une autre, et cette autre sur
une troisième. Il s’agit d’aller jusqu’au bout du voyage, d’explorer le plus à
fond possible l’objet à montrer, sans chercher l’illusion, sans substituer
l’imaginaire à la réalité. Ainsi, de la fusion même naîtra la distanciation
nécessaire à l’écriture du haïku :
Le chat ouvre son œil
Pour me laisser voir
A l’intérieur.
Comme si cela n’était
pas suffisant, le chat lui-même met la patte à l’ouvrage, se faisant poète et
calligraphe pour imprimer en négatif, du doux revers de ses coussinets, les
conditions nécessaires à la réussite :
Sous sa patte
le chat a effacé
tous les bruits.
Le chat d’ailleurs
efface beaucoup, jusqu’au trait de la page, jusqu’au blanc de la neige,
jusqu’au blanc du blanc… Il est un peu magicien.
Quant à Jacques
Poullaouec, il supprime les effets qui nuiraient à une perception de qualité et
n’hésite pas, en quelque sorte, à endosser la fourrure de son compagnon –
« Moi vouloir être chat », chantait Pow WoW – pour mieux le saisir
d’un coup de crayon. Quoique… Qui saisit l’autre finalement ?
Il me tire
Des mots de la plume :
Le chat.
À trop se laisser absorber par son sujet,
ne court-on pas le risque d’inverser les rôles ? De se perdre ? De se
diluer ?
Le soleil s’égoutte
Le chat ouvre son œil
Je reste dans mon rêve.
Ouvrir l’œil
Sortir du rêve
Du chat.
Après tout, Masaoka Shiki, adoptant semblable
attitude, vécut un phénomène similaire :
Je cueille des champignons –
ma voix
devient le vent ![3]
Le chat, comme chacun.e
sait, a plus d’un tour dans sa moustache : il est joueur. Le maître
pareillement s’amuse… jonglant avec les mots, triturant les sons…
Chut ! Le chat a chu
De ma plume
Sur le papier : haïku !
Ces haches à thé
Chat ! … Cat
La hache a chu
…cultivant
l’ambigüité et les glissements de sens :
Averse sur la gouttière !
Le chat a fui
Dans la gorge
Sur ces entrechats,
j’arrête là mon discours. Ami lecteur, amie lectrice, allez donc vous régaler
de tout chat, « Œil du
chat », « Chats perchés », « Chats posés »,
« Chats zen » et autres chats ! Et n’oubliez pas de vous poser
au passage sur les fines et savoureuses illustrations de l’auteur.
Danièle Duteil
[1] Makimono,
ou makémono : au Japon, rouleaux
manuscrits ou peints destinés à être déroulés et lus horizontalement.
[2]Eugène GUILLEVIC : Extrait de
« Bergeries », in Autres, poèmes 1969-1979, éd. Gallimard,
1980.
[3] Masaoka Shiki, in Anthologie du poème court japonais, trad. Corinne Atlan et
Zéno Bianu, éd. Gallimard, coll. Poésie, 2012.
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