Pelote des jours, haïbun
de Germain Rehlinger
Avec Pelote des jours, Germain Rehlinger signe son deuxième recueil de haïbun. Je suis d’abord impressionnée par la table des matières proposant pas moins de cinquante textes. Puis, au feuilletage, par la variété des formes, et la variété tout court. La prose côtoie ici le haïku bien sûr, comme le genre haïbun le laisse présager, mais encore le tanka, ou des versets d’auteurs venant appuyer le propos. Parfois le haïbun revêt une forme de plus en plus prisée par les auteurs, vers libres et poésie. À la fin, les tankahaïku (tanka et haïku) fonctionnent à la manière d’un haïbun minimaliste, créant un climat de tension entre deux formes qui se télescopent pour mieux s’emboîter. Le dernier haïbun joue cette fois sur la graphie, taille des caractères, façon tableau d’ophtalmologue, pour suggérer avec humour, en rapetissant progressivement la lettre, un souci d’approcher la vérité, l’essentiel se dissimulant dans le minuscule, voire l’invisible.
Quant au titre, Pelote des jours, il fait allusion d’une
part au jeu, à celui favori du chat, bouchon au bout de la ficelle, par exemple
(Germain Rehlinger accorde quelques pages à ce fidèle compagnon à quatre
pattes, membre de la famille), d’autre part à la rotation créatrice, à la course des jours
et de tout ce qui change autour de l’axe immobile de l’éternité. L’image de
cette petite boule de fil qui se débobine et se rembobine, témoigne sans en
avoir l’air d’une véritable conscience cosmique.
Pelote des jours pourrait se lire dans le désordre. C’est ce que je me
suis amusée à faire d’abord, car chaque haïbun constitue une unité. Mais la
seconde lecture, en suivant le déroulement normal du recueil, fait apparaître
entre ces unités le fil qui les relie :
on rebondit sur un mot, une époque, un lieu, une personne. À l’image du destin, le recueil
de Germain Rehlinger est conçu comme un dédale de chemins qui se croisent et s’entrecroisent ;
s’éclairant grâce à ce fil d’Ariane que l’auteur, plongé dans le labyrinthe de
l’existence, dévide derrière lui.
Saisissant ce fil, je parcours le monde sur les pas du
voyageur jeune, puis plus âgé : le Québec, le Népal, l’Inde, le Vietnam,
la Mauritanie… Parfois, il nous aussi convie à ses voyages « immobiles »,
au Japon par exemple, depuis le Centre Européen d’Études Japonaises d’Alsace,
ou simplement calé dans son fauteuil, goûtant une lecture dans l’intimité d’un
jour qui s’éteint. À certains moments, les souvenirs affluent : « je
me souviens », scande Germain Rehlinger, à la manière de Pérec. Page après
page, il convoque l’histoire, la grande bien sûr, avec des anecdotes à propos
de la Seconde Guerre mondiale ou la guerre d’Algérie, la sienne aussi,
imbriquée, lui qui naquit dans les années cinquante dans cette Alsace-Lorraine éternellement
ballotée entre deux territoires, déchirée, annexée, perdue, reprise… Lothrenger Platt, évoque la douleur du
déracinement et du changement de langue ; ce haïbun, comme la plupart des
autres d’ailleurs dans ce livre, revêt une portée universelle quand on songe à
toutes les migrations de l’histoire, à commencer par celles des années
présentes.
Le monde moderne, l’auteur le considère
souvent avec amertume. Où sont passés les rêves de fraternité et d’une société
meilleure, portés par tant de voix, à commencer par celles des intellectuels et
artistes de tout bords, de la période soixante-huit et post-soixante-huitarde ?
« …je repense à cette époque avec une tendresse
rajeunie, avec la mélancolie de mes jours », confie Germain.
Au fil des décennies, les
idéaux se sont effrités et le monde est devenu exsangue. C’était
peu après mai 68… est un tanka prose, tout comme plusieurs textes de ce
recueil. Le tanka, narration dans la narration, loin de jouer le même rôle que
les haïku, fait affleurer des émotions d’une autre nature, de celles qu’on
garde enfouies dans son for intérieur et qui remonte en surface à la faveur d’un
souvenir jaillissant dans l’esprit, de quelques notes de musique ressuscitant
un pan du passé, d’un dessin, portrait d’une aïeule à l’histoire mal connue :
au gré des traits jetés sur le papier, émerge la conscience d’une histoire familiale
privée encore de quelques-uns de ses maillons qui permettraient de reconstituer
complètement la chaîne.
D’autres visages se dégagent, qui
ont tissé, tissent encore, la toile quotidienne de l’auteur : copains, voisins,
connaissances, bahut, maître, figures du village, intimes, oncle, tante cousin,
épouse, fils… et cette mère trop tôt partie. On perçoit ici l’incompréhension, là
un certain désarroi, plus loin la complicité, l’empathie vis-à-vis des
semblables et du règne animal, ailleurs la satisfaction de s’être dépassé et
souvent une grande tendresse exprimée avec beaucoup de poésie.
Germain Rehlinger s’ouvre aussi
sur des moments fulgurants qui traversent son esprit, ses instants de
lâcher-prise, ses rêves, éveillé ou endormi, la vie dans son entier pour tout
dire, déroutante, passionnante, mystérieuse.
Un ouvrage fort, varié, bien construit, qui ne décevra
personne.
Pelote des jours est richement illustré de la main de l’auteur, des
peintures exécutées d’après photographies ou sur le vif, qui dévoilent d’autres
traits de sa personnalité, un regard qui ne se satisfait pas de la surface des
êtres et des choses, qui ressent la nécessité de comprendre de l’intérieur, en
s’immergeant complètement dans les lieux et leur histoire, parmi ses semblables,
sondant la société, explorant la culture et les différentes formes artistiques.
Danièle Duteil, le 30 mai 2016
Recension à paraître dans L'écho de l'étroit chemin ('AFAH) n° 20, juin 2016
Germain
Rehlinger : Pelote des jours,
haïbun ; préface de Monique Mérabet ; Éditions unicité, 2016 ;
15 €. ISBN : 978—2-37355-052-8.
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