mercredi 30 janvier 2019

DECROCHER LES ETOILES ; HAÏKUS AU FIL DES SAISONS


DECROCHER LES ETOILES : HAÏKUS
AU FIL DES SAISONS




Décrocher les étoiles : haïkus au fil des saisons, Danièle Duteil – préface d’Alain Kervern, illustrations de Choupie Moysan – Éd. Unicité, 2018.      
13 €                                                                                       Note de Janick Belleau


Quel apaisement pour l’esprit agité que la lecture du premier volet, « Sous chaque herbe ». La simplicité du vocabulaire se marie parfaitement à la sensualité de chaque fragment naturel. 
Dans l’herbier / la pâquerette / devenue éternelle

Voltigeant, entre humour et tendresse, le deuxième volet « Au bouquet final » apporte une gerbe de senteurs, de sons, de couleurs.
Le jardin brûlé / J’offre l’eau de la salade / au jeune rosier

« Un vent de feuilles » transmet doucement soit la mélancolie, soit la solitude qu’inspire l’automne.
L'épicier du coin / Un vieux souvenir / de mistrals gagnants

« Entre les bûches » évoque des moments heureux ainsi que la fuite du temps ; même ensommeillée, la Nature, chère à l’auteure, s’impose. 
La cour s’enneige / Des traces fraîches / de jeux d’enfants

Les illustrations de Choupie Moysan annoncent bien la spécificité de chaque saison. En page couverture son dessin couleurs illustre habilement le beau titre du recueil. Ce titre suggère, selon moi, l’idéalisme, la confiance et la force de notre poétesse.
La Préface d’Alain Kervern résume parfaitement l’essence du haïku japonais et l’expansion de ce poème court en Occident et « sur toute la planète ».
L’Introduction de Danièle Duteil présente le haïku contemporain et le rôle que celui-ci joue déjà dans les écoles et les collèges – son « instantanéité » encourage les jeunes (et les moins jeunes) à exprimer et à partager leur quotidien et à « s’ouvrir au monde ». Autre atout, et non le moindre, le haïku permet « d’opérer une veille écologique de premier plan ». L’inquiétude de la poète bretonne transparaît régulièrement dans son écriture.
Le monde / ne tourne pas rond / J’écale un œuf


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SECRETS DE FEMMES : COLLECTIF DE HAÏKUS FRANCOPHONES


Secrets de femmes


Collectif francophone de haïku coordonné par Danièle Duteil. Illustrations d'Aurélia Colombet. Editions Pippa, 2018.


 
Voici un recueil riche. C'est un collectif d'écritures de femmes sous la direction de Danièle Duteil. En l'ouvrant, on entre dans le monde des femmes ; et c'est toujours une découverte pour moi. Sans verser dans les propos caricaturaux sur les différences, j'ai toujours considéré que les femmes avaient une vue autre sur le monde. Une vue que je trouve souvent plus profonde, plus réelle.
Le recueil de haïkus se présente comme un ensemble de tout petits fragments de vie, de perceptions du monde, d'instants intimes.
Il permet de découvrir l'autre face de la sensualité, celle que nous les hommes, ne pouvons que deviner. Le discours est souvent intime et profond.
La plupart des thèmes de la vie sont abordés, avec sensibilité, mais parfois gravité et dureté. Un thème revient souvent, celui de la solitude. La solitude dans toutes ses dimensions.
J'ai vraiment aimé ce recueil. Pour la qualité des haïkus (très grande), pour la délicatesse, mais aussi la franchise des écritures. Un beau travail !
J'ai particulièrement aimé :
La vie de femme
matin d'août
trois générations de filles
au petit-déjeuner
Diane Souchon

ostéoporose
plus la force de le briser
ce "plafond de verre"
Hélène Duc
Intimité
dans les graminées
le soleil couchant
un vieux désir d'être blonde
Monique Junchat

il est reparti
pas envie de ranger
cette petite robe d'été
Cecile Duteil
Le regard sur les hommes
Passage piéton
Pompiers joggeurs
quinze shorts trente cuisses

Danièle Georgelin Etienne
La solitude
pour m'aider ce soir
à repasser ta chemise
mes larmes
isabel Asunsolo

il ne reste rien
de notre conversation
- mégot écrasé
Caroline Coppé
Maternité
chaque sein
ne pèse plus que lui-même
- fin d'allaitement
Coralie Creuzet

enfant malade
jouer avec elle
pour élargir son ciel
Marlene Alexa
La dureté de la Vie
Mexico Border
pour prix de son passage
sa virginité
sprite

ode à ce sein
qui va me quitter demain ~
vivre encore
Chantal Ferdinand
et le sublime
Plaisir solitaire
entre mes doigts -
pinceau et encre
Choupie Moysan

Revue par Serge Tomé, 2018

L'OR DU REIN : L'HUMAIN CORPS ET ÂME




L'or du rein : l'humain corps et âme.
Collectif de senryûs coordonné par Danièle Duteil, illustré par Robert Gillouin. Editions Unicité, mai 2017.

 Dans l’histoire de l’humanité, on rit beaucoup, ce qui parfois s’avère fort dérangeant. Platon ne chassa-t-il pas Homère de sa cité idéale pour avoir prêté aux dieux des défauts, parmi lesquels celui d’être pris de fous rires inextinguibles peu dignes de leur rang (le fameux « rire homérique », une des plus anciennes expressions de la langue française) ? Quant à Aristophane, pas forcément compris de son vivant, il fut grand poète comique et ardent polémiste, visant aussi bien la religion que les puissants de toutes veines, en mêlant sans vergogne franches blagues et subtilités.
Le rire a toujours été associé à la moquerie, au mépris, au sarcasme – on rit en général aux dépens des autres, mais le rire des autres à nos dépens nous couvre de honte et déclenche notre ressentiment. Au cours des temps, selon les régimes et pouvoirs religieux en place, les périodes et les pays, le rire fut très diversement apprécié. Si sa connotation apparaît plutôt positive, suscitant une remise en question, il peut carrément être condamné. Au Moyen Âge, l’Église le réprouvait, le jugeant laid et indécent – surtout très importun ! Le rire était assurément du côté du Diable, la Sainte Institution se devait de l’éradiquer. Ce qui n’empêcha pas la littérature de regorger de farces et fabliaux bourrés de méprises et bons tours de la vie courante. L’existence d’alors était rude, il fallait se détendre.
(Extrait de l'avant propos de D. D.)

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mercredi 12 juillet 2017

PIERRE TANGUY - SILENCE HÔPITAL

Silence hôpital

Pierre Tanguy




Editions La part commune, février 2017. ISBN : 978-2-84418-334-7


Silence hôpital, annonce le recueil de haïkus de Pierre Tanguy. Immédiatement, surgit ce visage, un doigt sur la bouche, invitant à baisser le ton. Si bien qu’on entre dans le livre sur la pointe des pieds, attentif à ne pas déranger, dans ce lieu où se jouent tant de destinées, et où la notion même de temps devient si floue.

La maladie et la souffrance font certes partie du lot commun à tous, mais elles sont toujours difficiles à évoquer : la pudeur pose naturellement un frein à l’expression, de peur d’importuner. De sorte qu’exprimer avec mesure ses blessures intimes relève d’un réel talent.
Le haïku, poème de peu de mots, se révèle ici particulièrement adapté pour dire le vécu sans ostentation et partager des moments teintés de sentiments mêlés, émotion, découragement, révolte, espoir… Fragmentaire, il procède par gros plans, « toux rauque », poche de perfusion, mines de « papier mâché » ... Il isole, d’un trait de plume, un instant restitué dans sa densité, tout en ménageant de grandes plages vacantes chargées de non-dit. Le lecteur décide ou non de les investir, y projetant son imaginaire et son expérience propres. Car le haïku n’impose pas un monologue : il invite à l’échange.

Dans ce labyrinthe de couloirs
trouver quelqu’un
à qui parler

Sur le chemin qui conduit à l’hôpital, dans la salle d’attente, entre les quatre murs de la chambre, en route vers le bloc opératoire, comment dépeindre la grande solitude qu’affronte l’individu ?
Du fond du silence et de l’isolement émergent de rares paroles. Le temps alors s’écoule « goutte à goutte », derrière une porte close, près d’un lit blanc ici, dans un couloir ailleurs, où les bien-portants finissent par ressembler aux malades.

Le haïku, traditionnellement, comporte un mot de saison ou kigo. Mais, dans quelques occasions, le muki, haïku sans mot de saison, reste de rigueur :

Le jeune interne –
sa blouse blanche
son stylo noir

Le retranchement s’accorde aux choses du dedans. Alors, le moindre détail devient symbole ; il a tôt fait d’être interprété dans un sens favorable ou défavorable par un sujet sur le qui-vive.
Mais le plus souvent, bien que roulant des « pensées noires », dans l’entre-soi d’un espace confiné, le patient, l’accompagnant tout pareil, parviennent à instaurer un dialogue avec l’extérieur, palpable par la fenêtre parfois entr’ouverte. Tels Masaoka Shiki sur sa couche, ils guettent le plus infime signe susceptible de les raccrocher à la vie du dehors, la vie normale, fût-ce un ciel d’encre lourd de menaces. Une vague odeur de campagne portée par le vent, la chute des feuilles, une averse, un ciel étoilé, les recentrent, les reconnectent momentanément à l’univers. La nature, complice des heures et compagne attentive, s’applique à faire diversion, grêle interrompant une lecture ou chant d’oiseau gommant une douleur. A moins qu’elle n’apparaisse cynique, déployant un grand ciel bleu à l’heure la plus critique.

Une maladie, un séjour à l’hôpital, l’isolement, conduisent très vite à la perte des repères ordinaires, qui s’effritent rapidement. Comment, dans la morosité des jours trop semblables les uns aux autres, la notion même de calendrier ne s’effondrerait-elle pas ? Dans ces circonstances le haïku, guetteur des minuscules transformations à l’œuvre dans la succession des jours, s’affirme comme un allié précieux. Ainsi, Silence hôpital épouse-t-il le contour des saisons, à travers le champ resserré de la fenêtre ou celui des heures distendues, de l’automne en sa pleine lune à juin aux « nids haut perchés ». Aucun indice venu de l’extérieur, aucune métamorphose n’échappent à celui qui attend, impuissant « comme un hanneton renversé ». Bientôt, au fur et à mesure que la saison avance et que l’espoir renaît, la palette chromatique, d’abord très sombre, ou saisie dans des contrastes exacerbés de blancs, noirs, bleus, rouges…, s’adoucit, signalant que « le cœur s’allège ».

Dans Silence hôpital, Pierre Tanguy n’inflige pas au lecteur de longs discours inutiles. Le haïku lui permet de juxtaposer des séquences. Ses poèmes évidés impriment l’esprit en pointillés, comme le blanc de la page, ne déposant qu’une trace essentielle. Le reste se déroule hors du cadre visuel.



jeudi 6 avril 2017

GRACE KEIKO / MONIQUE LEROUX SERRES : CHIYO NI, UNE FEMME EPRISE DE POESIE



Édition bilingue français / japonais. Illustrations : Clara Payot. Pippa, 2017, 16 €.
ISBN : 978-2-916506-0.




La poésie de Chiyo ni est déjà parvenue jusqu’à nous grâce à CHIYO NI bonzesse au jardin nu (Cheng Wing fun et Hervé Collet, Moundarren) et Du rouge aux lèvres (Dominique Chipot et Makoto Kemmoku, La Table ronde). Dans ce recueil, Grace Keiko et Monique Leroux Serres découvrent la haïjin sous un jour nouveau. Elles ont choisi la plupart du temps ses haïkus les moins connus, ou les plus représentatifs de sa personnalité.
Spontanéité et fraîcheur …

Quel trésor
mais quel trésor
ces premiers rayons de soleil

Coquetterie…

On se sent belle
mais qu’est-ce qu’on est transie !
Nouvelle tenue d’été

Spiritualité…

Déjà tout en feuilles
à quoi pensent-ils ces arbres
naissance de Bouddha

Sens de l’allusion et de la métaphore…

Le papillon
se perd dans la lande fleurie T
Trace d’un rêve

Gravité…

La source est fraîche
Les lucioles s’éteignent
Il n’y a rien d’autre

(Jisei)


Si Grace Keiko et Monique Leroux Serres posent le problème de la traduction, qui comporte toujours le risque de trahir l’auteur, elles donnent à savourer une poésie toute en délicatesse, rehaussée des fines encres de Clara Payot.

Danièle Duteil





YASUSHI NOZU : ATMOSPHERE 


Yasushi Nozu


Atmosphère 







Haïkus français / japonais introduits par Alain Kervern. Imprimé au Japon, décembre 2016. ISBN : 978-4-86641-020-3.


« Qu’est-ce que la réalité ? » est la question première suscitée par le haïku, confie Alain Kervern. La démarche poétique de Yasushi Nozu, en proposant un recueil de haïkus bilingues japonais / français, est bien de confronter les différentes manières de « percevoir l’univers qui nous entoure » en rassemblant dans chaque haïku « des forces dispersées en un souffle nouveau ». Tandis que Yasushi Nozu précise sa méthode de transposition d’une langue à l’autre, « exprimant la même émotion et le même environnement que l’original japonais », sans traduction mot à mot, Alain Kervern s’étonne encore du pouvoir créateur des mots, qui constitue pour lui l’essence même de la poésie.
Lever des haltères
La mante religieuse se hausse
Sur la pointe des pieds
Danberuya Tourousenobi Shitewitari

Bel après-midi où
Je n’ai rien du tout à faire
Papillon d’hiver

Nanimoshinai Haretahinogogo Fuyunochou

Pour les Japonais qui maîtrisent le français ou les Français qui connaissent le japonais, le plaisir de la lecture sera double, voire triple, car un ouvrage bilingue provoque aussi naturellement une riche réflexion sur le travail de traduction.
Danièle Duteil





DANDEVILLE / GILLET - GRAPPES DE HAÏKUS


Annick Dandeville / Patrick Gillet

Grappes de Haïkus  / Haïku fusa-fusa / A bunch of haïkus



Phot. : J.-Y. BARDIN –Trad. japonaise : H. Trochet – Trad. anglaise : B. Sohbi – Éd. trilingue : français, japonais, anglais, Créazen, oct. 2016, 28 €. ISBN : 978-2-9558056-0-2.


Annick Dandeville et Patrick Gillet déclinent la poésie de la vigne et du vin, savoureuse et hautement colorée, égrenant en alternance les haïkus tirés de leur meilleure cuvée.

Le soleil se lève –
au flanc du coteau
l’or des vignes (A. D.)

Vendanges tardives -
dans les grains gorgés de sucre
la couleur du miel

À leurs mots, font écho de superbes photographies, non moins poétiques, évoquant différents terroirs français. D’autres vues montrent le Japon traditionnel. Les trois artistes convient ainsi leurs lecteurs à un véritable voyage, doublé d’un régal de tous les sens. Ambiances, couleurs, arômes se mêlent, sur fond de senteurs de terre et de cheval, bruit de bouchon et vapeurs sublimes. On prend sa part des anges, de bulles et d’ivresse et, quand la fête est finie, que sécateurs et guitares s’immobilisent, qu’hommes et femmes prennent un repos bien mérité, il ne reste que la lune tardive pour taquiner encore le barboteur en verre.

Danièle Duteil