jeudi 13 octobre 2016

Yann REDOR

Chemins des trois îles : haïkus et tercets des jours de marche




La vie sort de l’eau, déclare Yann Redor dans son avant-propos au recueil Chemin des trois îles…  Je ne le contredirai pas, moi qui suis née sur une île minuscule et qui sais comme elle s’accroche au moindre rocher.

Chemin de Crête. Un parfum d’Orient court entre les pages, alors que le vent ouvre la porte. Le décor est planté : chant du coq, aboiements, vagues bleues, vent, pope et monastère. On offre du pain et des fruits au pèlerin inconnu. La Crête en arrière-saison montre à nouveau son vrai visage, sauvage, rude et apaisant…

Dans la caverne / attendant que la pluie cesse / la chèvre et l’homme

Tel Santôka, ou le Petit-Poucet rêveur de Rimbaud[1], Yann Redor égrène ses haïkus au bord des sentiers, au gré de ses rencontres et des paysages traversés. Son inspiration naît de ses contemplations sous le vent, le soleil, ou à la belle étoile :

Dormir / sur ce chemin / la nuit est confortable


Chemin de La Réunion. Ici aussi l’accueil est hospitalier : Marie ouvre sa porte et raconte son île : son histoire, ses habitants, les Créoles et les Zoreilles qui la peuplent tandis que, sur les sommets, passent et repassent les nuages, entre deux trouées bleues ; parfois, s’échappe un oiseau :

Dans un rayon de soleil / un paille-en-queue / descend du ciel

La nature est ici si prégnante que le marcheur n’a pas le temps de s’appesantir sur quelque crampe à l’âme : le voilà déjà, à la première halte, sifflant Carmina Burana aux oiseaux, ou échangeant un sourire avec un autre randonneur sur sa route. À moins qu’un spectacle grandiose force le respect et ne laisse interdit l’homme face aux forces naturelles…

Nuages de sel / sur de gigantesques galets / les vagues se brisent


Chemin de Madère. Là encore la nature est gigantesque. Mais l’aventurier chausse ses semelles de vent, passant par-dessus les nuages, […], et quelquefois dedans. Je revois ces pistes de crêtes coupées de chapelets de nuages, alors que tout en bas la mer flanque ses énormes rouleaux sur les rochers. Bien sûr, face à un tel déploiement de puissance vitale, la modestie s’impose :

Nu et rikiki / leurs rires de me voir là / sous la cascade

Dans ces îles, l’excursionniste doit se lever de bon matin, ou s’orienter du bon côté, pour ne pas être trop tôt rattrapé par quelque nuage toujours prêt à dévorer le paysage. Troublant effet des éléments en mouvance …

Le ciel la mer ou les nuages / je ne sais pas ce que je vois

Qu’importe le jeu d’illusions, d’autres sensations fortes attendent le touriste, quand le vin de Madère chaud enivre la halte, sur un fond de fado, jusqu’à faire naître d’autres mirages.
Lorsque, de l’autre côté des mers, parviennent de sombres nouvelles, des tirs des bombes, qu’il m’est facile de haïr, murmure Yann. Réaction naturelle : alors que le monde déploie tant de beautés, pourquoi cette noirceur prend-t-elle parfois racine au cœur de l’humain ?
Que le poète continue de nous élever au sommet des crêtes, pour reprendre l’expression de Françoise Lonquety dans sa préface, et qu’il soit remercié pour ce partage de bienfaisantes bouffées d’oxygène, au détour de superbes haïkus et photographies.

Danièle Duteil



Préface de Françoise Lonquety, Éditions unicité, 2016, 14,00 €.
ISBN : 978-2-37355-040-5.
 


[1] Arthur Rimbaud (1854-1891) : Ma Bohème (Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course. Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. - Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou…)

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