Yann REDOR
Chemins des trois îles : haïkus et tercets des jours de marche
Chemins des trois îles : haïkus et tercets des jours de marche
La vie sort de l’eau, déclare Yann Redor dans
son avant-propos au recueil Chemin des trois
îles… Je ne le contredirai
pas, moi qui suis née sur une île minuscule et qui sais comme elle s’accroche
au moindre rocher.
Chemin de Crête. Un parfum d’Orient
court entre les pages, alors que le vent ouvre la porte. Le décor est
planté : chant du coq, aboiements, vagues bleues, vent, pope et monastère.
On offre du pain et des fruits au pèlerin inconnu. La Crête en arrière-saison
montre à nouveau son vrai visage, sauvage, rude et apaisant…
Dans la caverne / attendant que la pluie cesse / la chèvre et l’homme
Tel
Santôka, ou le Petit-Poucet rêveur
de Rimbaud[1],
Yann Redor égrène ses haïkus au bord des sentiers, au gré de ses rencontres et
des paysages traversés. Son inspiration naît de ses contemplations sous le vent,
le soleil, ou à la belle étoile :
Dormir / sur ce chemin / la nuit est confortable
Chemin de La
Réunion. Ici aussi l’accueil est
hospitalier : Marie ouvre sa porte et raconte son île : son histoire, ses habitants, les Créoles et
les Zoreilles qui la peuplent tandis que, sur les sommets, passent et repassent les nuages, entre deux
trouées bleues ; parfois, s’échappe un oiseau :
Dans un rayon
de soleil / un paille-en-queue / descend du ciel
La nature est ici si prégnante que le marcheur n’a pas
le temps de s’appesantir sur quelque crampe
à l’âme : le voilà déjà, à la première halte, sifflant Carmina Burana aux oiseaux, ou
échangeant un sourire avec un autre randonneur sur sa route. À moins qu’un
spectacle grandiose force le respect et ne laisse interdit l’homme face aux
forces naturelles…
Nuages de sel
/ sur de gigantesques galets / les vagues se brisent
Chemin de Madère. Là encore la nature est gigantesque. Mais
l’aventurier chausse ses semelles de vent, passant
par-dessus les nuages, […], et quelquefois
dedans. Je revois ces pistes de crêtes coupées de chapelets de nuages,
alors que tout en bas la mer flanque ses énormes rouleaux sur les rochers. Bien
sûr, face à un tel déploiement de puissance vitale, la modestie s’impose :
Nu et rikiki
/ leurs rires de me voir là / sous la cascade
Dans ces îles, l’excursionniste doit se lever de bon
matin, ou s’orienter du bon côté, pour ne pas être trop tôt rattrapé par
quelque nuage toujours prêt à dévorer le paysage. Troublant effet des éléments
en mouvance …
Le ciel la
mer ou les nuages / je ne sais pas ce que je vois
Qu’importe le jeu d’illusions, d’autres sensations
fortes attendent le touriste, quand le vin
de Madère chaud enivre la halte, sur un fond de fado, jusqu’à faire naître
d’autres mirages.
Lorsque,
de l’autre côté des mers, parviennent de sombres nouvelles, des tirs des bombes, qu’il m’est facile de
haïr, murmure Yann. Réaction naturelle : alors que le monde déploie
tant de beautés, pourquoi cette noirceur prend-t-elle parfois racine au cœur de
l’humain ?
Que le poète continue de nous élever au sommet des crêtes, pour reprendre
l’expression de Françoise Lonquety dans sa préface, et qu’il soit remercié pour
ce partage de bienfaisantes bouffées d’oxygène, au détour de superbes haïkus et
photographies.
Danièle Duteil
Préface de Françoise Lonquety,
Éditions unicité, 2016, 14,00 €.
ISBN : 978-2-37355-040-5.
[1] Arthur Rimbaud (1854-1891)
: Ma Bohème (Petit-Poucet
rêveur, j'égrenais dans
ma course. Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. - Mes étoiles au
ciel avaient un doux frou-frou…)
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