jeudi 13 octobre 2016

Monique JUNCHAT

Charivari, haïku





Éditions Tapuscrits, juin 2016. Photos de Gérard Dumon, préface de
Philippe Quinta. Prix : 8.80 euros. ISBN : 979-10-94418-21-5


Charivari, annonce Monique Junchat en titre de son recueil. Je m’attends naturellement à trouver grand bruit et grand fracas en le lisant. Mais les premières pages ne font retentir que chants d’oiseaux ou rires ; un peu plus loin, quelques aboiements, des cris d’enfants, la pétarade d’une Harley, le toussotement de moteurs en chauffe, des conversations à l’ombre d’un tilleul, le babil d’un nourrisson, le chant d’une cascade…
Rien d’étourdissant, au contraire : le monde éclos ici est une esquisse délicatement posée par la main qui effleure la page :

caressés
par les nuages
les premiers nids

Monique entrebâille seulement la porte, le spectaculaire n’appartenant pas à son registre habituel. De même, le JE  ne s’impose pas comme l’objet de tous les regards, il se dévoile pudiquement, levant parfois un pan de l’intime.
L’auteure préfère, le plus souvent, se tourner vers les autres : elle laisse alors volontiers s’exprimer son shiori, c'est-à-dire, dans la sensibilité nippone, son élan de sympathie envers la nature, les animaux et l’humain.
Que remarque-t-elle dans le flux d’anonymes foulant les trottoirs de la ville ? Cet homme à la jambe coupée. Ou encore la vieille dame au pansement sur sa jambe.
Non sans une pointe d’humour, elle signale ailleurs son amitié sincère pour les bêtes : j’aurais pu naître pigeonne, affirme-t-elle, pointant du doigt le hasard de la destinée, qui nous fait vivre sous une forme plutôt qu’une autre. Par empathie, ne ressent-elle pas encore physiquement la soif du petit boxer ?
Ainsi, sa déclaration suivante n’est peut-être pas complètement fortuite :

dans la vitre
du train de nuit
prisonnière de mon image

Probablement aimerait-elle renvoyer, plutôt que ce reflet de son enveloppe corporelle, toutes les facettes de sa vraie personnalité, si riche intérieurement.

Monique Junchat approche le monde avec beaucoup de modestie, justesse et finesse. Telle la pluie, elle joue pour nous une petite valse, une valse viennoise à six temps, correspondant aux six mouvements de son recueil.
Elle sait savourer l’instant présent, si précieux, qu’il illustre le quotidien le plus banal, comme le cabillaud qui mijote dans son court-bouillon, ou le plus délicieux, tel un baiser sur la bouche.
Si quelques ombres glissent çà et là sur le tableau des heures, la sérénité habite le plus souvent les mots. À quoi servirait d’ailleurs de se regimber ? Nous ne sommes pas maîtres des événements, ils suivent leur cours naturel :
le temps s’écoule / comme la Saône
constate Monique.

            Le temps est finalement le Grand Ordonnateur. Il rouille les feuilles l’automne venu, mais épargne justement les aiguilles de la pendule ; il imprime les attentes et les regrets, les « enfin ! » et les « déjà ! », suit la course des nuages qui emportent ailleurs l’ami de passage, décrète l’aube et le crépuscule, le manège des saisons, celui des astres aussi… Le balancier universel ne manque pas de rappeler inlassablement l’extrême fugacité de l’instant présent ; si d’aventure il se prolonge, c’est dans le cercle illusoire du rétroviseur, qui n’offre que des images en trompe-l’œil. La lune a beau jouer les fidèles compagnes, elle s’éclipse aussi devant nos questionnements d’humains :

 dans un coin à droite
le croissant de lune
signe la nuit

Un moment de vertige seule dans le noir ? Le petit bruit du chat à sa toilette invite aussitôt l’auteure à la sagesse et à la patience. Sous cette protection féline, elle peut éteindre la lampe, tandis que les heures tournent une autre page.


après la pluie
le chant du moineau
égoutte la branche

La parole de Monique Junchat, à laquelle répondent en écho les sobres photographies en noir et blanc de Gérard Dumon, est à l’image de ce chant : elle délivre des messages en douceur. Son œil est un volet entrouvert, sa voix est guidée par une belle attention au monde, qu’elle bâtit « généreux et original », pour reprendre la formule de Philippe Quinta dans la préface.

Danièle Duteil

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