Enchanter
la vie,
tanka, dessins et photos d’André Cayrel, 102 pages. Editions D’un jardin dirigées par Alhama Garcia, février
2017. Prix : 12.66 €. ISBN : 978295539934.
Le tanka est un poème
bref ancien remontant au début de la littérature japonaise. Abordant des sujets
nobles tels que la nature, l’amour, la mort… il privilégie l’expression
esthétique, procédant par touches légères. Ce faisant, il effleure le sens, suspendu
au bord du dire, sous-tendu par l’allusion ou la métaphore, alors que
s’esquisse une histoire intime, nichée aux confins de la pensée, dans l’interstice
des mots.
Dans son recueil, Enchanter la vie, André Cayrel sait la
vertu du silence, ombre, nuage ou page blanche, qui n’attendent que la
rencontre du poète pour se mettre à vibrer. Les quintiles ici portent la joie
d’un matin d’oiseau, d’une libellule en plongée, d’un regard féminin
« ciel bleu frais », d’un « premier rendez-vous ».
L’univers poétique de
l’homme est indissociable de la femme. Elle est toujours à ses côtés, fantasmée
ou bien réelle ; on pense aux paroles d’Eluard débutant son très beau
poème, L’amoureuse : « Elle est
debout sur mes paupières […] / Ses rêves en pleine lumière / Font s’évaporer
les soleils »[1].
Il perçoit le monde par et à travers elle, ou plutôt elles, car il est amoureux
de toutes, chacune lui laissant entrevoir des délices.
ses lèvres salées
après la mer, les
sucrées
c’est pour le goûter
tous les goûts de sa
nature
condensés dans ses
baisers
La vie, telle que
célébrée dans Enchanter la vie, se
veut explosion des sens. Elle est amandier en fleur, « pommes
rouges » et figue chaude, marguerites effeuillées, caresses et « corps
flous », « silence blanc », soleil levant, soleil couchant,
verre de vin et bourdon ivre, étoile filante, soir d’automne, lune rousse, « champs
d’oiseaux », parfum d’herbe, lèvres de femme… L’auteur se gorge de ces
joies éphémères, escortes saisonnières de sa pérégrination peuplée de
« désirs brûlants », à fleur de peau, à fleur de rire.
gorge rose sein
la couleur et la
douceur
avant le soleil
jamais de mémoire de
roses
elle n’a vu un
jardinier
André
Cayrel cueille le fruit lorsqu’il s’offre, sachant très bien qu’en ce monde
changeant rien n’est définitif, car « la vie c’est comme ça / on joue des
petites pièces / sans savoir la fin ». Le rideau peut tomber à tout
moment, une silhouette s’esquive, aussitôt remplacée par une autre… laissant
parfois, « quand vient le soir », résonner quelques tendres rires
échappés de derrière le rideau.
Entre clins d’œil et
frivolités, le ton se révolte parfois, devant la souffrance des plus faibles, ou
face aux discriminations et inégalités. Il s’embrume aussi au souvenir d’un ami
défunt, d’un amour prenant fin, à l’évocation d’« un énième
anniversaire », d’un cahier d’écolier retrouvé, en contemplant une photo
ancienne où le bonheur jaillit aux coins des lèvres….
La saveur de
l’instant présent se mesure à l’aune du vécu, selon son tracé, la densité de son
trait et des événements qui en ont tissé la trame. La banalité sans doute, mais
ô combien précieuse ! Lorsque la patine des ans teinte la vie de son
lustre, certains contours s’adoucissent, donnant du prix à une foule de petits
moments, qui peut-être étaient passés inaperçus, ou insignifiants. L’esthétique
japonaise est très attachée au concept de wabi-sabi qui exprime la beauté des
choses simples polies par le temps et dont la vue suscite une vague mélancolie
sereine. Les tanka d’André Cayrel relèvent de cette notion, illustrée aussi par
l’impression d’évanescence émanant de certains de ses clichés en noir et blanc.
L’histoire, c’est
évident, s’écrit à la fin, à partir des ingrédients composites qui jour après
jour, sculptent l’ossature de l’existence : les événements de toute
nature, les êtres, père, enfant, ami,
amoureuse, passante… les lieux, « jardin en friche », bastide
provençale, monts d’Aubrac et sommets enneigés… les objets, portrait jauni, « vieille
moleskine »… les parfums remontant de jadis, « lavande en mille
feuilles », « l’odeur de l’encre entre les phrases effacées ». Tous
ces souvenirs déroulent un long chemin qui, de l’homme, raconte le parcours et
la vérité.
L’expérience spirituelle
du pèlerinage de Compostelle, évoquée parfois avec humour par le poète, prend
ainsi l’allure d’une métaphore : celle de la quête de soi, de la recherche
des valeurs authentiques et du mystère de la vie. Sa portée est universelle.
Il en ressort une
exceptionnelle acuité du regard, doublée
d’une profonde méditation sur la destinée humaine.
vers Compostelle
je marche dans la
lumière
mon ombre derrière
flotte sur la
poussière
où ma chair
retournera
Danièle
DUTEIL
[1] Paul ELUARD : L'amoureuse, 4ème
poème de Mourir de ne pas mourir, in Capitale de la douleur, recueil paru pour la première fois en 1926.
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