Éditions du tanka francophone, 55 p. : ill., janv. 2017.
Prix : 20 €.
ISBN : 978-2-9238-29-27-2.
Sa maigre carcasse
frôle les arbres gelés
museau dans la neige
sous la belle lune rousse
le loup hurle sa famine
Bestiaire tanka titre le recueil de Nathalie
Dhénin. Je suis intriguée car le tanka, poème japonais datant des débuts de la
littérature japonaise, n’a pas pour habitude de mettre en scène des animaux.
Apanage des gens de Cour, il se hissait au plus haut degré de l’expression littéraire,
chantant l’âme humaine en harmonie avec la nature. Ce genre très codifié à
l’origine privilégiait les sujets et les sentiments nobles tels que l’amour. Sa
musicalité et sa rythmique s’apparentaient au chant : le Waka primordial
était d’ailleurs psalmodié.
Si le haïku s’est depuis belle lurette popularisé, en
particulier grâce aux deux maîtres d’exception que furent Bashô[1]
et Shiki[2],
le tanka a évolué différemment. Relativement sclérosé pendant longtemps, il
commence à se moderniser à la fin de l’ère Meiji grâce aux conceptions
poétiques du même Shiki, mais aussi de Takuboku[3]
et d’Akiko Yosano[4], qui ont
bousculé la tradition. Non seulement les thèmes de la vie quotidienne font leur
entrée dans le tanka, mais la forme se modifie, s’orientant vers le .principe
cher à Shiki du Shasei ou croquis sur le vif. Lentement il a tracé sa
destinée en Occident, d’abord dans la sphère anglophone, qui chahute volontiers
son rythme classique, puis dans la francophonie, où depuis dix ans les Éditions
du tanka francophone ont largement œuvré pour sa diffusion.
On le sait, le tanka a été d’abord porté par les
femmes, bien que leur présence ait été très discrète dans les compilations
poétiques telles que le Kokin Waka-shû ou le Man.yo-shû (sic !).
Sans doute Nathalie Dhénin n’ignore-t-elle pas l’apport
de la gent féminine à l’émergence du poème. Aujourd’hui, elle innove aussi
d’une certaine manière en ouvrant la porte du tanka à toutes les petites ou
grosses bêtes de la création. Sa démarche a de quoi surprendre et faire sourire,
car le ton est léger :
L’orage s’annonce
l’escargot se tourneboule
dévale la pente
du lièvre et de la tortue
c’est toujours lui le vainqueur
Le propos, qui oscille entre réel et imaginaire,
s’apparente à une fable miniature destinée à séduire les enfants si proches de
nos amis les bêtes. On pense immanquablement aux bestiaires du Moyen Âge, ces
manuscrits qui usaient d’un procédé proche, à des fins didactiques.
À la manière de ces bestiaires médiévaux, l’ouvrage de
Nathalie Dhénin est en quelque sorte enluminé : il s’orne d’élégantes
miniatures, réalisées par l’auteure, rappelant à la fois la tradition
occidentale de l’époque, dotée d’une riche imagerie animale, et la mandala
chère au bouddhisme, support de méditation représenté en deux ou trois
dimensions, symbole de la transmission du savoir. La mandala, parfois en sable,
rappelle alors que la loi de l’éphémère et de l’éternel recommencement régit le
monde fragile de la création. Une loi sous-jacente ici :
Battement de cils
le papillon arc en ciel
se meurt d’un clin d’œil
foudroyé par Cupidon,
il n’est plus que poudre d’ange
Comme les mandalas, les miniatures de Nathalie Dhénin
s’inscrivent dans un cercle, renvoyant au mouvement général de l’univers et des
grands cycles cosmiques. Le passage de la connaissance, qui s’opère en boucle
entre les générations, ne relève-t-il pas également de la dynamique du
cercle ?
L’air de rien, les quintiles de l’auteure
familiarisent le jeune public au tanka, tout en les instruisant dans de
nombreux domaines, évoquant la vie sur les plateaux du Tibet, les dix plaies d’Égypte,
le dieu Thot, le diable de Tasmanie, ou bien le suricate du désert. Des notes
viennent encore étayer le propos.
Autre lien avec le passé et la tradition, les poèmes
proposés sont proches de la comptine, forme vieille comme le monde, au ton
enjoué, dont le rôle est de contribuer à fixer les rituels et les connaissances
de base en jouant sur les rythmes, les sonorités, l’anthropomorphisme, la
cocasserie bien sûr.
Par ci et par là
il s’amuse à cache-cache
le caméléon
il se maquille d’un rien
des couleurs de la nature
Je mentionnais plus haut le principe du Shasei, ou croquis sur le vif, qui
prévalait à la fin du XIXe siècle. Nathalie Dhénin l’applique, car
s’il convient pour les humains, il est encore plus justifié pour mettre en
scène les animaux
Ainsi, dans Bestiaire
tanka, la surprise naît du thème central choisi, le règne animal, tout à
fait novateur en matière de tanka. Une manière pour l’auteure de familiariser
plus aisément un jeune public à une forme poétique qui lui est peu coutumière.
Mais, tout en effectuant ce saut à pieds joints dans la nouveauté, Nathalie Dhénin
prend soin d’assurer sa démarche didactique en l’appuyant tant sur les théories
des derniers maîtres japonais du genre que sur la tradition littéraire occidentale
ancienne, nourrie de fables, comptines et bestiaires.
[1] Bashô
Matsuo, 1644-1694.
[2] Shiki
Masaoka, 1867-1902.
[3] Takuboku
Ishikawa, 1885-1912.
[4] Akiko Yosano, 1878-1942.
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